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Akugasasy

7 septembre 2011

LES SYSTÈMES RYTHMIQUES

LES SYSTÈMES RYTHMIQUES

 

 

 

Introduction

 

= certainement l’un des sujets en ethnomusicologie qui a suscité le plus de débats.

 

Etym. : du grec rhutmos, dont la racine est rhéïn : « couler » : d’où le rhume, mais aussi le Rhône et le Rhin…).

 

1ère remarque générale :

Comment se fait-il que le mot rythme — et pas seulement en français — soit utilisé non seulement en musique,

mais encore ds nombre de domaines artistiques (rythme d’une chorégraphie, d’un poème, d’un tableau, dune œuvre architecturale… ),

et aussi ds tout un ensemble de pratiques culturelles (rythme de la langue, rythme des gestes, rythme de vie…),

dans la constitution naturelle de l’homme (rythmes biologiques),

dans les aspects de la nature elle-même, ds ses manifestations périodiques (rythme des saisons, rythmes journaliers… ) ?

 

Pas ici le propos de répondre à cette question,

Mais important de relever que la notion de rythme relève aussi bien de phénomènes anthropologiques que biologiques, voire même cosmologiques.

Cf. Notion de rythme nous renvoie directement à l’ordre de la nature, qui présente de nb. ex. de phénomènes cycliques.

 

Domaine où l’approche interdisciplinaire pourrait être très féconde.

 

 

2ème remarque :

Comme pour la notion de hauteur, le rythme n’est jamais qu’un donné de la perception sensible :

Cf. quand on dit que « le rythme prend », cela signifie en fait que « le rythme nous a pris ».

= phénomène perçu, vécu (à titre indiv. ou collectif).

 

Toute la question, lorsqu’on veut analyser un rythme, est donc :

comment est-il perçu, vécu (que ce soit du point de vue des musiciens, des auditeurs, des danseurs…)?

= question qui relève pas seulement de l’analyse musicale, mais de la psycho-acoustique et des sciences cognitives.

 

 

Perspective qui implique :

- d’envisager chaque système rythmique dans sa spécificité :

comment est-il pensé et ressenti par les gens chez lesquels on travaille… 

- mais en même temps, qui amène ici aussi à s’interroger sur l’existence d’universaux psycho-physiologiques (cf. comme pour la question des échelles et des intervalles) :

les différents systèmes rythmiques représentés ds le monde peuvent-ils être envisagés selon une grille d’analyse universelle ?

ou ce qui revient au même, sont-ils susceptibles d’être décrits à l’aide d’une terminologie à vocation universelle ?

 

= perspective qui sous-tend la plupart des travaux sur la question.

Et qui a amené nombre d’auteurs à remettre en question ou à repenser un certain nb de concepts prévalant dans l’analyse des phénomènes rythmiques occidentaux.

 

Tel que par exemple le concept de « mesure »,

que l’on va utiliser en ethnomusico dans son sens premier : = mesure du temps.

≠ pour un groupe de temps (4/4), on parlera plutôt de mètre : cf. emprunt à l’étude de la prosodie (structure métrique d’un vers = nombre de pieds).

 

Ambiguïté du terme liée à son histoire : au départ, la mesure telle qu’on l’entend aujourd’hui, n'existait pas ds la musique occidentale.

 

Rappel historique :

Pendant tout le Moyen Age occidental jusqu'à la Renaissance, le seul régulateur du temps, la seule référence est le tactus :

= succession de temps isochrones.

On ne compte pas par exemple 1, 2, 3, 4… ≠  mais 1, 1, 1, 1… = battue à un temps. On pense par unités de temps et non par série d'unités.

Conception linéaire du temps, qui n’opère pas par regroupement d’unités de temps.

= accents mélodiques et rythmiques se placent librement.

 

Ce tactus pouvait être matérialisé par une signalisation visuelle de la main (gestuelle du chef d'orchestre) ou par une signalisation auditive (battue du pied, flexion du doigt, ou avec un bâton… ), que ce soit à l'église ou au théâtre.

 

Dans d’autres cas, il n’est pas matérialisé :

Cas du chant monophonique de la liturgie chrétienne : par ex. le chant grégorien :

on pense que les chanteurs se « serraient les coudes » (au sens propre) pour parvenir à se synchroniser rythmiquement :

= contact physique qui permet de sentir la pulsation de ses voisins et de se mettre au même tempo qu’eux : chanter ensemble de façon « mesurée », sur une pulsation commune. 

 

R. Pratique que l’on retrouve aujourd’hui dans de nombreuses polyphonies vocales du monde entier : les chanteurs font corps, que ce soit sous la forme d’un cercle ou en se plaçant sur une même ligne, de sorte à être au coude-à-coude.

 

 

Mais pour en revenir à l’Occident,

C’est à partir de la seconde moitié du XVIème siècle que la barre de mesure commence à envahir le solfège :

au départ, simple cadre graphique destiné à faciliter l'écriture et la lecture des textes musicaux :

cf. comme la "mise au carreau" du peintre (quadrillage de son dessin sur la toile).

 

+ Coïncide avec une période de renouveau de la danse :

musiciens professionnels composent des "danceries" sur des rythmes et des mélodies populaires :

favorise l'apparition de la barre de mesure et fige l'essor de la rythmique de la Renaissance

(au sens où le regroupement d’unités de tps de même valeur induit un schéma accentuel précis : une subdivision précise de la mesure qui induit une hiérarchisation des temps : tps fort / tps faible : ex. 6/8 ≠ 3/4)

 

De simple repère, la barre de mesure va devenir en moins d'un siècle un véritable "dogme" pour la plupart des compositeurs.

 

C’est donc de cette époque que date l’acception actuelle du terme de mesure, tel que l’entend la musicologie occidentale.

 

Mais la notion de musique mesurée au sens premier du terme, telle qu’on l’utilise en ethnomusicologie, renvoie à toute musique fondée sur un étalon de mesure.

 

 

 

I — Les musiques dites « non mesurées »

 

au sens premier du terme = musiques qui ne seraient sous-tendues par aucun étalon de mesure du temps

Autrement dit, musiques dont les durées ne sont pas proportionnelles.

 

• Certaines cultures ne connaissent pas de musiques non mesurées :

Cas par exemple du monde andin (indiens des Andes).

 

• D’autres ne connaissent que quasiment que des rythmes non mesurés :

Cas des musiques traditionnelles corses, essentiellement basées sur la polyphonie vocale :

très peu de musique instrumentale, et très peu de danses.

 

• D’autres cultures utilisent les deux, et parfois au sein d’une même forme musicale :

Par exemple le cas des taqsim du monde arabo-musulman

ou du khayala du monde indien, où l’improvisation commence tjs par une partie introductive non mesurée, qui précède l’entrée d’un tambour.

 

Cas aussi dans l’opéra occidental, où les récitatifs forment svt des parties non mesurées.

 

 

Rappelons l’opposition que propose S. Arom entre musiques mesurées et non mesurées :

« La musique non mesurée n’étant pas soumise à des quantités fixes,

la durée de chaque son n’a de signification que compte tenu de sa position par rapport à ce qui le précède et ce qui le suit,

c’est-à-dire la formule mélodique à laquelle il se trouve intégré.

Par là, elle s’oppose aux musiques mesurées, dans lesquelles chaque durée entretient un rapport strictement proportionnel avec toutes les autres ».

 

= opp. en fait théorisée depuis longtemps :

cf. on la trouve déjà ds la théorie musicale du Moyen-Age :

sous les termes opposés de cantus mensuratus (chant mesuré) / cantus planus (plain-chant).

 

Certains auteurs actuels parlent de rythme libre plutôt que non mesuré (cf. anglais free rhythm ≠ strict rhythm), mais pour désigner le même phénomène.

 

= définitions à retenir, mais que l’on peut encore affiner :

 

Pour Arom : différence exprimée en termes d’oppositions marquées :

Une musique non soumise à des quantités fixes ≠ une autre où durées strictement proportionnelles

 

 

— Pourtant une dimension intermédiaire, qu’on appelle le rubato (litt. « tps volé » ≠ tempo giusto):

Déf. courante : quantités pas strictement proportionnelles, mais pourtant sous-tendues par une mesure régulière.

= tension, distorsion volontaire entre une régularité sous-jacente et l’évènement musical réel :

implique donc que l’on ressente une pulsation régulière, sans laquelle l’effet de distortion serait manqué :

d’où, effets de rubato svt ponctuels, dans un but expressif.

= En découle un effet momentané de liberté et de spontanéité par rapport à une référence quantitative fixe.

 

 

— Même dans une interprétation non rubato (tempo giusto), si l’on y réfléchit bien, aucun musicien ne joue jamais de façon strictement métronomique :

 

Cf. il y a ce qu’on appelle le groove (ou le swing en jazz) :

déjà une forme d’interprétation par rapport à une référence régulière, à un jeu métronomique.

= une façon convenue de se placer par rapport au temps : jouer en avant ou en retrait — au fond — du temps

+ une façon aussi de le phraser (jeu d’accents), etc. 

 

= ce qui donne au flux musical toute sa charge expressive.

Sorte de subjectivisation collective du temps, du flux musical :

il faut l’interpréter tous de la même manière, sinon, cela ne swingue pas, cela ne groove pas… 

 

­—  Et le rythme non mesuré (ou libre) ?

classifications mécaniques, qui posent svt pb lorsqu’on se confronte aux phénomènes musicaux en eux-mêmes :

Car dans toutes les musiques dites non mesurées (ou à rythme libre), la plupart d’entre nous perçoivent quand même une pulsation approximative et surtout, une identité rythmique claire (difficile de concevoir une musique parfaitement arythmique !) :

cf. styles dits à rythme libre comme l’alap lent du raga indien ou certains styles récitatifs n’effacent pas totalement le sentiment d’une certaine régularité,

sauf que si l’on veut battre cette pulsation, jamais strictement isochrone (équidistante)… 

 

hypothèse :

on est peut-être en présence d’une liberté rythmique qui ne s’oppose pas nécessairement à la notion d’une structure sous-jacente :

mais cela nous oblige à concevoir une structure qui comporterait en elle-même (de façon intrinsèque) une dimension non strictement fixée, imprécise… 

 

= liberté rythmique lui serait en fait totalement inhérente (plus juste un effet d’interprétation — cas du swing — ou de déviation ponctuelle — cas du rubato — par rapport à une structure régulière, mais une structure qui comprend intrinsèquement une part d’imprécision rythmique… ).

 

Revient à poser le problème suivant :

= Comment concevoir — et transcrire — une structure qui ne quantifie pas les rythmes ? Une structure non régulière ?

 

Et quelle est dans un tel cas la référence mentale des musiciens ?

 

 

Ex. musical 1 : rituel de Guélédé (Bénin). Cf. partition

Essayer de battre une pulse.

= Partie soliste donnée comme non mesurée.

 

Itcha du Bénin (= sous-groupe Yoruba).

 

Gens du Guélédé = confrérie d’hommes.

Chant rituel d’incantation, associé à la récolte des premiers tubercules d’ignames = prémices : pour assurer la fertilité tellurique (terre).

 

Partie du soliste non mesurée, mais strophique : reprise d’un même cheminement mélod. (avec variations), constitué de pl. phrases, elles-mêmes constitutives de strophes (notées // sur la partoch).

 

Alterne avec une partie responsoriale (soliste/chœur polyphonique).

Homorythmique, mais mvts mélodiques divergents.

= mesurée (cf. Pulse donnée par l’entrée d’un idiophone frappé.)

 

Dans la 1ère partie, on perçoit bien une structure rythmique :

mais qui ne repose pas sur des proportions rythmiques strictes.

 

Pourquoi ?

= Rythme gouverné ici par le texte :

Segmentation des strophes en phrases, chaque phrase étant rythmiquement construite en fonction du texte à énoncer :

même sans le comprendre, on perçoit que c’est le débit de la parole,

et le désir d’accentuer certaines syllabes en fonction du rythme de la langue,

qui génèrent et cisèlent le rythme en cours de jeu.

 

Cf. la parole, contrairement à la musique, ne repose pas sur des rythmes de proportion fixe.

Dimension textuelle l’emporte donc ici sur le musical.

 

Cf. degrés forts ou appuis accentuels sur certaines syllabes : tenues plus que les autres.

Mais durée de ch. son n’a de signification que par rap. à la formule textuelle et mélodique d’ensemble à laquelle il est intégré.

Pas de proportionnalité stricte entre les durées.

 

+  pas de décompte d’une pulsation entre phrase : silences non mesurés.

 

= style récitatif, où la structure rythmique est en fait conférée par le rythme et les accents du texte, et par la carrure des phrases à énoncer, de longueur variable.

 

= Cas fréquent, notamment en solo.

 

 

 

Autre ex. Peuls Wodaabe du Niger : ex musical 2

 

Cette fois-ci collectif !

Comment peut-on chanter ensemble de façon non mesurée ?

 

2 parties :

 

1ère partie : Hétérophonie où chacun décline à sa façon (variantes mélodiques et rythmiques + tuilage) la même échelle descendante :

(Hétérophonie = même référence musicale, mais interprétée différemment par chacun.)

 

Rythme libre : valeurs rythmiques pas préétablies et non proportionnelles les unes par rapport aux autres + carrures des phrases à dimension variable

 

Boucles continues qui se chevauchent :

 

 

2ème partie :

Forme responsoriale, avec tuilage + légère hétérophonie au sein du chœur.

 

Retour des mêmes cheminements mélodiques (même variés) fonde le sentiment d’une certaine  périodicité (regroupement d’unités de durée égale) :

carrure de chaque phrase pourtant variable… 

 

 

+ ds les 2 parties : tenues sur les degrés importants (Do et Ré ds la partie 1, Do et Mib ds la partie 2),

et passages + rapides, voire glissendi sur les autres degrés.

 

= d’où, effets de contraste rythmique entre des valeurs longues (degrés les plus importants), moyennes (degrés d’importance intermédiaire) et brèves (notes de passage), qui fondent le sentiment d’une certaine identité rythmique, bien que les durées ne soient pas proportionnelles :.

(cf. difficile de battre une pulsation régulière).

 

Donc, durées ici non proportionnelles, mais valeurs contrastées :

 

À partir du moment où il y a contraste, on est bien en présence d’une structure, fondé sur des éléments d’opposition (contrastants) : valeurs longues / moyennes / brèves

 

D’où, déf. possible de ce rythme non mesuré :

rapport qu’y entretiennent les valeurs n’est certes pas quantitatif (on ne compte pas le tps),

mais étant basé sur des effets de contraste, on peut dire qu’il est qualitatif :

Mvts rapides s’opposent à notes tenues, indépendamment de tout étalon de valeur.

 

On n’est pas dans une temporalité striée (pré-quadrillée : structure fixe de référence), entrecroisant des fixes et des variables :

Mais pour reprendre une expression de Boulez, ds un « temps lisse » (cf. « Penser la musique aujourd’hui ») :

 

un rythme flottant, qui se meut un peu à la façon dont un fluide occupe l’espace = flux

(cf. étym. grecque du mot rythme : rhéïn : couler)

 

Spécificité d’un tel rythme ne se joue pas en termes d’opposition entre le régulier et l’irrégulier (comme ce serait le cas du rubato : irrégularité au sein du régulier),

 

mais marque une différence de nature entre 2 modes de temporalité :

L’un dimensionnel, mesuré

L’autre directionnel (penser à la dynamique des flux ou à la manière dont se déplace un banc de poisson : sans queue, ni tête, ni centre, mais oscille d’un mvt tantôt unanime, tantôt tuilé, comme sous l’effet d’une onde de choc qui relierait les terminaisons nerveuses de chacun.)

 

= inter-rythmicité des chanteurs qui s’articule de l’intérieur,

sans imposition de mesure, ni de cadence :

= purement circonstancielle, pas pré-établie, pas totalement prédéfinie dans ses moindres contours 

 

cf. si elle n’est pas strictement pré-définie, pré-quadrillée, cela revient à dire qu’elle émerge en situation, autrement dit, d’un jeu d’interaction entre les chanteurs

 

Cf. grandes lignes de danse, de parfois plus de 50 chanteurs :

chacun se positionne par rapport à ce que font ses voisins immédiats.

Émerge ainsi une rythmicité que l’on peut qualifier d’interactive, ou corrélationnelle.

 

D’un bout à l’autre de la chaîne de danse, ne s’entendent pas tous,

et ne cherchent pas à être strictement ensemble.

Au contraire, ne cessent de jouer d’effets de retards et d’anticipation, non par rapport à un référent fixe (comme ds une temporalité striée), mais les uns par rapport aux autres.

 

= Structure rythmique qualitative, qui ne donnera js 2 interprétations identiques.

 

Pour décrire un tel rythme, il faut en qq sorte essayer de se mettre dans la peau des chanteurs :

surtout si l’on n’a pas la possibilité de chanter avec eux pour ressentir personnellement les choses de l’intérieur.

À ce titre, la pratique musicale est irremplaçable, mais on n’y pas tjs accès : cf. cas comme ici d’un rituel… 

 

 

Et du coup, comment transcrire une telle musique ? 

 

Évidemment sans chiffrage à la clé, ni barres de mesures…

 

Solution est sûrement de recourir à des signes codifiant trois types de valeurs qualitatives :

-         valeurs longues (ex. par une blanche sans hampe),

-         valeurs intermédiaires (ex. par une noire sans hampe),

-         mouvements rapides (ex. sous forme de traits ? : cf. pas tjs stables du point de vue de l’échelle).

 

 

 

 

II — Les musiques mesurées :

 

1ère remarque :

Meilleur moyen de comprendre quelle est la référence temporelle des gens lorsque la pulsation n’est matérialisée par personne ?

Faire écouter les enregistrements et demander aux gens de frapper dans leurs mains :

= geste universel : peu de chances pour que cela ne marche pas… 

 

 

         2è remarque :

         Lorsqu’il y a un étalon de mesure (qu’on a affaire à une musique mesurée), rare qu’il n’y ait pas une organisation secondaire du temps sous la forme d’un regroupement d’unités de temps, autrement dit, une périodicité :

ce qu’on appelle un mètre, une métrique

(ou « une mesure » au sens occidental du terme, même si les ethnomusicologues utilisent peu ce terme du fait de son ambiguïté).

 

Cf. Pas trouvé d’exemple dans le monde de musique mesurée qui ne repose pas aussi sur une métrique précise.

Il ne s’agit évidemment pas de faire le tour des diff. syst. rythmiques représentés ds le monde :

 

Vais donc prendre un fil directeur, qui sont les rythmes dits aksak,

pour nous interroger sur ce qui relève de l’aksak et ce qui n’en relève pas :

 

permettra, en tentant de définir l’aksak, d’aborder un certain nb d’autres systèmes rythmiques, et donc de relever les constantes et les différences entre ces systèmes.

 

Je m’appuie principalement sur les travaux de Braïloiu, de Jérôme Cler, de Jean During, Simha Arom, Koffi Agawu, Gerhard Kubik… (+ N° 10 des cahiers de musiques trad consacré au rythme). Cf. bibliographie. 

 

 

A/ Terme de rythme aksak en tant que catégorie universelle de la musicologie proposé pour la première fois ds les années 60 par Constantin Braïloiu :

= emprunt au lexique turc (théorie musicale de l’aire ottomane), où il signifie tout simplement : « irrégulier », « qqch. qui cloche ».

= rythmes décrits comme boîteux.

 

Avant Braïloiu, Bartok s’était déjà intéressé à ces rythmes (dès 1938), qu’il qualifiaient de « rythmes bulgares ».

 

Mais il s’avère que ces rythmes ne sont pas seulement présents en Bulgarie,

mais ds une vaste aire géographique qui s’étend approximativement de l’ex-Yougoslavie au Turkestan chinois

+ également représentés dans le monde arabo-musulman.

 

Bartok comme Braïloiu se sont heurtés à la difficulté de concilier la pratique musicale occidentale, au départ basée sur des mesures binaires ou ternaires,

avec celle de l’Europe orientale, souvent caractérisée par des mesures asymétriques : 3 + 2.

= imposent selon eux une toute autre conception de la durée musicale.

 

Mais chacun propose 2 approches foncièrement différentes de ces rythmes :

• Bartok, peut-être plus imprégné de la conception solfégique occidentale, les décompose en micro-unités égales :

(ou ce qui revient au même, il regroupe des valeurs fondamentales égales en nouvelles valeurs, cette fois inégales) :

 

Ex. 2 + 3 :

valeur fondamentale = la double croche

groupées de la manière suivante : 2 doubles croches + 3 doubles croches

 

[Important : comme vous ne pourrez certainement pas lire ma police de caractères solfégiques, je vais utiliser la convention suivante :

C pour croche

cc pour double croche

N pour noire

B pour blanche

R pour ronde

s pour le soupir et ds pour le demi-soupir.

 

Usage du point pour les rythmes pointés. Ex. C C. = 1 croche + 1 croche pointée

Usage de chiffres pour les regroupements rythmiques :

ex. 2cc + 3cc = 2 doubles croches + 3 doubles croches.

ex. N 3C 3C = noire + 3 croches + 3 croches (soit du 8 temps).

Usage du tiret pour les rythmes liés, de type syncope :

ex. 2/4 : N 2C-2C N = mesure en 2/4 : noire + croche + croche liée à croche + croche + noire.

Usage de la barre pour la barre de mesure :

Ex. 4/4 / N N N N-/-N N N N / = 2 mesures de 4 noires, le 4è temps de la 1ère mesure et le 1er temps de la seconde étant liés (cf. par des tirets).

Désolée… C’est un peu l’usine à gaz. Mais c’est la solution la plus rapide !]

 

• Braïlou insiste dès l’abord sur l’existence de valeurs fondamentales inégales à la base de cette conception rythmique :

valeurs qui ne sont pas des multiples pairs les unes des autres, qu’il qualifie en termes de « brèves » et de « longues » :

 

Selon lui, C C. =  une mesure pensée en 2 tps inégaux, non divisibles.

Ce qui fait dire à Braïloiu que l’aksak est un rythme, non pas monochrone (fondé sur une seule unité de valeur),

mais « bichrone irrégulier » (irrégulier, au sens où le tps long n’est pas le double du tps bref).

 

= Gde différence de conception,

puisqu’elle induit que l’intelligence musicienne peut s’accommoder d’un rapport irrationnel de 3 pour 2 (ou 3 pour 4).

Ex. N. N (= 3 + 2) ou N. B (= 3 + 4)

 

 

Pour comprendre ce phénomène,

Braïloiu le compare aux règles métriques de la prosodie grecque antique :

textes chantés comprenant des syllabes de durée variable :

longues et brèves, formant des pieds.

(il ne va pas pour autant jusqu’à dire que ce système vient de la prosodie :

la comparaison s’arrête là… : Mais piste intéressante !

 

+ Il relève que l’aksak appartient au domaine chorégraphique :

rythmes qui s’appuient sur la gestuelle et sont tjs intégrés par le corps — que ce soit ds la danse ou dans le gestuelle de l’instrumentiste —, sans être comptés.

 

• Jérôme Cler va reprendre ces travaux et pousser leur étude plus loin, notamment en s’intéressant aux critères de classification endogènes — émiques — de ces structures métriques aksak (≠ ce que n’avaient pas fait à leur époque Braïloiu et Bartok) :

= classifications des populations qui les pratiquent :

à savoir ici, les populations paysannes de la Turquie égéenne (Turquie du sud-Ouest, région de Denizli) = trad. régionale.

 

Populations de cette région différencient tout d’abord la mesure à 9 tps, qui ne porte aucun nom générique, mais renvoie à une norme chorégraphique,

de la mesure à 2 ou 4 tps, qu’ils appellent düz : lisse, plat, droit.

 

≠ La mesure à 9 tps n’a en fait pas d’autre désignation que le nom des 3 types de danses sur lesquelles elle est jouée :

 

Danses qui se caractérisent en fait par des différences de tempi :

- Zeybek lent (Agir zeybek) : en 9/4           (N = entre 35-45)

- Zeybek rapide (kïvrak zeybek) : en 9/8 (C = entre 80-95)

- Sipsi : en 9/8, mais bp + rapide (C = entre 220-250)

- Teke : en 9/16 (cc = entre 440-500)

 

Schéma métrique : tjs 3 groupes de 2 et 1 groupe de 3 (ex. 2 +2 + 2 + 3, ou 2 + 3 +2 + 2, etc).

 

1er pb qui se pose : où faire commencer le mètre ?

Quel est le critère qui permet de placer les groupes de 3 au début, au milieu, ou à la fin de ce schéma métrique ?

 

         J. Cler prend l’exemple de la danse sipsi :

Airs qui constituent des ritournelles : unités mélodiques d’1, 2 ou 4 mesures comptant chacune 9 tps.

Ritournelles = répétées indéfiniment, pour les besoins de la danse (variantes seulement de type ornemental).

 

- 1er critère permettant de relever le schéma métrique (d’en marquer les frontières par une barre de mesure) : d’ordre mélodique

= la fin de la ritournelle, à savoir le retour sur la fondamentale.

Ex. polycopié : fig. 1 et 2 (p. 186) : le La.

NB : Remarquer le chiffrage noté (3 + 2  + 2 + 2), et non pas 9/8.

 

         Ne signifie pas que le tps qui suit la barre de mesure (le premier tps) est un tps plus accentué (au sens d’accent d’intensité) que les autres.

La barre de mesure marque en fait ici le retour de l’identique, c’est à dire le retour d’un même schéma de subdivision rythmique :

en 3 + 2 + 2 + 2,

ou 2 + 2 + 2 + 3, etc.

 

 

= ce qu’on appelle un schéma accentuel.  

(qui permet la décomposition interne en groupes de 2 et/ou de 3: indique que la première note de chaque cellule est marquée d’un accent métrique, qui peut être ressenti par le phrasé, un accent d’intensité, un saut mélodique ou le retour sur un degré important, la convergence rythmique de tous les instruments sur le temps en question, etc.)

 

- Dans le cas turc, schéma métrique aussi marqué par la battue que frappe l’assistance, voire les musiciens eux-mêmes (frappes sur la table d’harmonie du luth saz).

 

- par les appuis du cycle chorégraphique :

cf. Accents 1 0 1 0 1 0 1 0 0  ou  1 0 1 0 1 0 1 1 0

Accents chorégraphiques coïncident donc avec les accents métriques.

 

= Phénomène récurrent : donc tjs très important d’observer la danse qui accompagne une musique.

 

- enfin, accents d’une autre nature viennent se superposer :

notamment la fréquence d’un accent de durée sur les 5ème tps (2 + 2 + 2… ) ou 6ème tps (3 + 2 + 2… ), qui contraste avec les valeurs brèves qui l’entourent.

 

= Induit la perception d’une seconde division en 4 + 5 ou 5 + 4.

Accents métriques, accents chorégraphiques et accents de durée [— dans d’autres musiques, ce pourraient aussi être des accents mélodiques ou harmoniques —] dénotent donc parfois l’existence de subdivisions différentes, qui marquent une hiérarchie entre les temps

- Accents métriques et chorégraphiques    / 100 + 10 + 10 + 10 / + 100… 

- Accents de durée                                     / 100 + 00 + 10 + 00  /

                                                        Total =200 + 10 + 20 + 10

 

Mais J. Cler fait remarquer — et c’est un point fondamental — que ns sommes ici ds un système qui n’admet jamais de superposition contramétrique (accents en conflit avec le mètre, i.e. jouer “contre” les accents métriques ) :

Ex. 2 schémas accentuels différents superposés jamais réalisés :  

 

3 + 2 + 2 + 2

                   sur    3 + 3 + 3

                   ou     2 + 3 + 2 + 2

                   = impossible dans ce système.

 

≠ tandis que dans un système non aksak, on peut très bien décider de déplacer les accents métriques en jouant par exemple :

 

en 4/4 :

/ N N N  N /

sur    / N.  N.   N /

 

Dans le cas turc, nous sommes ainsi dans un système strictement cométrique : = schéma de subdivision accentuel fixe, à l’intérieur duquel on peut faire varier les figures rythmiques, mais où tout le monde joue en marquant les mêmes accents métriques.

         On verra que c’est un trait essentiel ds la définition de l’aksak

 

Ex. musical 3 :  Lyra

Vièle que l’on trouve en Grèce, en Bulgarie et jusqu’en Turquie.

Ici, ex. de lyra turque d’Istanbul à 3 cordes, jouée aussi bien par des musiciens grecs que turcs.

 

Lyra jouée par Socrates Sinopoulos + luth tambur + tambour sur cadre bentir.

(= aksak très lent : cf. suivre frappe basse du tambour sur cadre.)

1 2 1 2 1 2 1 2 3.

 

À 0’4 : entrée du tambour qui marque le début du cycle : 2 + 2 + 2 + 3

 

Donc début = 3 + [2 + 2 + 2 + 3 ] + etc.

= joue dès le départ sur l’ambiguïté entre débuts et fins de cycle par cette anacrouse en début de cycle. 

 

Débutent certains cycles sur le 3, mais finales aussi sur le 3.

         Donc hypothèse la plus probante : mètre = 2 + 2 + 2 + 3 , avec anacrouse en début de cycle.

 

 

Ex. musical 4 : CD Turquie, Le violon des Yayla (violon + luth üçtelli)

 

 

 

Cycle de la ritournelle = 2 mesures :

 

 [3 + 2 + 2 + 2] + [3 + 2 + 2 + 2]

 

 

 

 

B/ Un autre pb se pose ds l’analyse des rythmes aksak : celui du tempo.

 

Braïloiu, ds son étude, avait déjà relevé qu’en présence de tempi lents, il arrive que les unités se subdivisent.

Et il note : « c’est ce qui a fait prendre à certains — et il fait sûrement allusion à Bartok — la valeur divisionnaire pour unité réelle ».

 

Cf. valeur divisionnaire retenue par Bartok est la double croche [soit 2cc 3cc], considérée comme l’unité minimale,

au lieu de retenir comme le fait Braïloiu 2 unités fondamentales asymétriques : C C.

 

Jérôme Clerc reprend cette problématique en comparant ce qui se passe au sein des différentes danses citées, qui présentent précisément des différences importantes de tempo.

 

 

• Ex de tempo rapide, avec la danse teke :

Schéma métrique 2 + 3 + 2 + 2/16 (cf. polycopié : transcription fig. 3)

 

J. Cler fait observer que la rapidité du tempo est telle que l’on ne perçoit plus la valeur divisionnaire ou unité minimale (à la double croche) : 1 2 3 4 5 6 7 8 9.

Le seul repère cognitif est ici une pulsation bichrone : C C. C C

 

Comme ds la danse sipsi, on a une superposition de structures différentes :

- les accents métriques :                   1 0 1 0 0 1 0 1 0

- les accents de hauteur :                           0 0 1 0 0 0 0 0 0 (cf. Mi : bond mélodique)

- les accents marqués par la battue :          1 0 0 0 0 1 0 0 0

- les accents chorégraphiques :                  1 0 0 0 0 1 0 0 0 (rapport 5 + 4)

 

= superposition de structures différentes dont résulte une hiérarchie accentuelle :                                 Total =       3 0 2 0 0 3 0 1 0

 

Du fait de la rapidité du tempo, le rapport 2 pour 3 passe presque au second plan, au profit du rapport 5 pour 4.

Ex. musical 5, CD Musique des yayla : luth üçtelli à 3 cordes + saz + violon.

= Suite de danses rapides teke (2 mesures par ritournelle) :

- 1ère danse (2 + 3 + 2 + 2)

- puis, interlude ad lib à partir de 2’16,

- et 2ème danse à partir de 3’02 (2 + 2 + 2 + 3) :

cf. à 3’25 : on entend frappé sur la table d’harmonie le  4 + 5.

 

Ici, la valeur divisionnaire (ou unité minimale) devient très difficile à percevoir : d’où, sensation nette de rythme boîteux.

 

• ≠ Ex. de tempo lent : la danse zeybek lente (zeybek kïvrak) : 45 à la noire

 

Dans la majorité des cas, un musicien occidental l’entendra comme une succession de mesures à 2 tps

Cf. polycopié transcription fig. 4 (cf. voir parenthèses sous la portée).

 

Or, chacune de ces mesures à 2 temps correspondent en fait à la valeur divisionnaire :     

1 2 3   4 5   6 7   8 9

= 3   +  2  +  2  +  2

 

D’où, écrit en 9/4, et non pas en (3 + 2 + 2 + 2 /4).

La pulsation ressentie ici, le repère cognitif, n’est plus bichrone : c’est une suite de 9 noires. Donc pas de sentiment de boîteux.

 

+ Le cycle de danse va quant à lui être bp plus long que le mètre : se développe dans ce cas sur 3 phrases identiques à celles-ci.

 

Ex. musical 6 : CD Musique des yayla

= suite de danses : (violon)

zeybek lents : 3 + 2 + 2 + 2

(ritournelle en 18 tps).

Ici, plus du tout perçu comme boiteux, ou asymétrique.

 

(cf. Cas aussi de l’exemple à la lyra, pl. 6, où l’on était tenté de décomposer le mètre en cycles de 9 noires).

 

         En fonction du tempo, la perception de l’étalon de référence change,

et avec lui, les appuis du cycle chorégraphique (cf. ce qui fait que l’on perçoit qu’on est à la croche, la noire, ou la blanche…).

 

+ Ds le cas de tempi rapides, difficile, du point de vue perceptuel, de subdiviser l’aksak en valeurs égales :

= valeurs d’emblée données comme groupées. 

 

         Pb que cela pose : l’aksak n’est-il aksak que lorsqu’il est perçu comme tel (= dans les tempi rapides)?

Autrement dit, peut-on encore parler de mètre aksak à un tempo lent, alors que le rapport 3 pour 2 n’est plus perceptible ?

 

Réponse de J. cler :

Ici, on est dans une même communauté territoriale, qui se trouve pratiquer un système de monnayage (= subdivision, densification du rythme) des valeurs permettant plusieurs tempi :  

On peut donc penser que c’est un même schéma mental qui préside à l’exécution de ces différentes formes ;

un schéma mental en fait intégré et produit corporellement par la danse, et qui entretient d’étroites relations avec la construction mélodique.

 

On peut en déduire, avec J. Cler, que la catégorie « aksak » est un système d’organisation du mètre généralisable à tous les tempi,

et qui n’est donc pas tjs nécessairement perceptible en tant que « rythme boîteux » (contrairement à ce qu’ont pu dire les 1er théoriciens).

 

 

Récapitulatif des mètres aksak :

 

IMPAIRS (et leurs permutations)                       PAIRS (et leurs permutations)

5 = 2 + 3                                                             8 = 3 + 3 + 2

7 = 2 + 2 + 3 (ou 3 + 4)                                      10 = 3 + 3 + 2 + 2

9 = 2 + 2 + 2 + 3 (ou 4 + 5)                                12 = 3 + 3 + 2 + 2 + 2

11 = 2 + 2 + 2 + 2 + 3 (ou 4 + 7)

 

Au delà de 11 unités minimales, Jérôme Clerc fait remarquer que l’aksak semble être une composition réalisée à partir des mètres précédents :

 

Ce qu’il appelle des « mètres variés » ou « groupes métriques », de type :

 

14 = 9 (2 + 2 + 2+ 3) + 5 (2 + 3)

15 = 8 (3 + 2 + 3) + 7 (2 + 2 + 3), etc.

 

 

 

 

C/ Les mètres pairs posent pb :

 

Peut-on encore parler d’aksak au sens strict, alors que de tels mètres peuvent aussi être subdivibles en valeurs symétriques ?

 8 = 2 + 2 + 2 + 2

         10 = 2 + 2 + 2 + 2 + 2

                                               12 = (2 + 2 + 2 + 2 + 2 + 2) ou (3 + 3 + 3 + 3)

 

 

Point très important, qui va nous amener à comparer l’aksak avec d’autres syst. rythmiques représentés ds le monde :

Bartok et Braïloiu, eux, les comptaient comme aksak.

 

Arom, qui a travaillé pour sa part en Afrique, appelle l’aksak « rythmes composés » (associant ds leur mètre des valeurs binaires et ternaires), 

et en propose la définition suivante

« Leur caractère "boiteux" résulte de groupements fondés sur la juxtaposition de quantités binaires et ternaires,

dont la somme correspond nécessairement à un nb premier »

(= qui n’est divisible que par lui-même, ou par l’unité 1. Soit 5, 7, 11, 13, 17, 19…)

 

= déf. qui exclut d’emblée les mètres pairs, et même tout mètre subdivisible en valeurs égales :

Ex. 9 /8 = selon Arom, rythme subdivisible en 3 unités de temps (3 + 3 + 3), donc ternaire, et ce, quels que soient les accents rythmiques marqués par les musiciens (même 3 + 2 + 2 + 2) .

 

Pour Jérôme Clerc, c’est une logique d’analyse typiquement occidentale, à savoir divisive, et non pas additive :

 

Ex. si un musicien joue 3 + 2 + 2 + 2 (ex. N. N N N), l’occidental ne va pas l’entendre comme l’addition de valeurs indivisibles (3 + 2 + 2 + 2 = rythme bichrone irrégulier selon Braïlou), mais comme un jeu de subdivisons binaires dans un mètre en réalité ternaire (du 9/8 : soit N. N. N. décliné en N. N N N).

= logique divisive : 

au sens où le musicien pense l’unité minimale à la croche (ou valeur divisionnaire), et non 2 valeurs asymétriques :

3C 3C 3C , et non pas N. N N N

Il peut dès lors librement réaliser différents types de regroupements rythmiques, tantôt cométriques (en respectant le mètre sous-jacent) : ex. / ds 2C N. 3C /

tantôt contramétriques (en conflit avec le mètre) : ex. / 3C-N C-C N /

 

La question qui se dessine à l’arrière-plan de ce débat est finalement :

y aurait-il de vrais et de faux aksak ?

 

- Le pb étant de savoir si l’on est en présence d’une organisation de type contramétrique dans un cadre métrique sous-jacent régulier = logique divisive

Ex. N. N. N en réalité pensé : 2 + 2 + 2 + 2, donc « faux aksak » (puisque du 4/4)

[Important : pour reproduire fidèlement cette conception divisive, un tel rythme devra être noté avec des syncopes : non pas N. N. N, mais N-2C-N N, indiquant que le mode de subdivision est bien en 4.]

 

- ou si, au contraire, l’on est en présence d’une organisation de type cométrique dans un cadre métrique irrégulier = logique strictement additive, où l’on ne pense pas la valeur divisionnaire, mais l’addition de valeurs asymétriques.

Ex. N. N. N étant pensé 3 + 3 + 2 / 8) = « vrai aksak », comme on en trouve ds les Balkans, relevant du syst. décrit par Jérôme Cler… 

 

= différence de schéma cognitif : ce que Kolinski appelle « mental patterning » (cf. Mieczyslaw Kolinski, article de la revue Ethnomusicology : XVII/2, 1973)

 

cf. Il cite une expérience concluante en Afrique :

un maître tambourinaire, à qui l’on demande de frapper le temps avec son pied par dessus une réalisation rythmique de 3 + 3 + 2 / 8, frappe une battue de 4 noires :

N.   N.   N

est en fait pensé en 4/4 :                   N-2C-N N

 

= cette battue est la preuve qu’on est en présence d’une réalisation contramétrique, puisque la référence mentale du musicien est un cadre métrique régulier, fondé sur un étalon isochrone.

 

≠ D’après J. Clerc, on trouve le même type de rythmes en Turquie,

mais impensable pour les musiciens de battre par dessus une métrique binaire !

 

+ formules mélodico-rythmiques jouées par les musiciens sur ce type de structure tjs parfaitement cométriques (s’articulent en 3 + 2 + 3) :

impossible d’accentuer par ex. le 3ème temps, le 5ème ou le 7ème par un jeu contramétrique : 

 

3C   2C   3C  ne sera jamais par exemple jamais réalisé :

2C 2C 2C 2C

 

= Schéma accentuel tjs conforme au cadre métrique sous-jacent.

 

D’où, Agawu propose de parler dans ce cas d’accents métriques,

et lorsqu’il y a contramétricité, de parler plutôt d’accents « phénoménaux » :

cf. Accents phénoménaux ne respectent pas le schéma métrique sous-jacent : ont donc une dimension plus événementielle (= librement placés).

(Koffi Agawu : Reprensenting African Music, chap. IV).

 

 

D/ La question qui se pose pour un certain nombre de systèmes métriques africains est donc :

 

La succession de cellules de 2 et de 3 — ce qu’Arom appelle des « rythmes composés » —  relève-t-elle tjs d’une logique divisive ?

(= en d’autres termes, ces rythmes composés renvoient-ils en réalité toujours  à une structure métrique sous-jacente basée sur des valeurs symétriques ? En bref, a-t-on affaire en Afrique à du « faux aksak ») ?

 

 

Ex. musical 7, Igbo du Nigeria

 

Dialogue entre trompes en calebasse et chant.

1 tambour de bois à fente + 2 bâtons entrechoqués + hochet

 

Hoquet : trompes jouent chacune une seule hauteur : combinent leurs motifs rythmiques respectifs pour former une polyphonie en contrepoint.

 

Accelerando progressif.

 

- Rythme des bâtons entrechoqués : 

Période de 12 unités minimales. Mais comment l’écrire ?

 

= Rythme bichrone (?) qui s’écrirait :

                                               (3 + 3 +  2 + 2 + 2 / 12) 

          NC NC  N  N   N 

 

                                                 1    2    3    4   5   6     

ou en 6 N ? (binaire en 6/4) :      N  2C-2C  N  N  N

 

                                                 1        2        3       4             

ou en 4 N. ? (ternaire en 12/8)         : NC   NC    NC-CN

 

Comment répondre à cette question ?

Écouter ce que font les autres instruments…

 

 

- Y a-t-il présence de jeux contramétriques, ou tous les instruments marquent-ils de façon cométrique le même schéma accentuel que les bâtons entrechoqués ?

- Subdivisions des autres instruments à dominante ternaire ou binaire ?

 

• Le tambour de bois à fente monnaie le temps à la croche (monnayage = subdivision rythmique) :

 

3C 3C 3C 3C = il place librement les accents, mais le plus souvent selon un mode de subdivision ternaire.

 

• Le hochet, hors variations, fait : CN CN CN CN (= formules rythmiques plutôt ternaires)

 

• Hochet + tambour sont donc globalement contramétriques par rapport à la deuxième partie de la formule jouée par les bâtons entrechoqués :

 

Ils jouent du 3 pour 2 :

N N N (bâtons)

sur    N.  N.           (hochet + tambour)

= procédé qualifié d’hémiole (emprunt à la prosodie grecque).

 

• Cycle chant / Trompes :

- Chant expose deux phrases presque identiques (A + A’) = 2 + 2 = 4 périodes de l’idiophone.

- Reprise alternée des trompes sur 2 phrases également (A’’ + A’’’) =  2 + 2  = 4 périodes de l’idiophone.

Chant + Trompes = 4 + 4 périodes : cycle long de 8 périodes

(R. C’est le début du cycle de chant qui permet ici d’identifier où faire démarrer le mètre).

 

Le chant suit globalement le schéma métrique donné par l’idiophone, mais les trompes usent de nb effets contramétriques (technique de jeu en hoquet, avec de nb contretemps et syncopes).

 

= On est donc clairement ici en présence d’une organisation de type contramétrique (donc pas du vrai aksak),

mais la structure métrique de référence serait quand même à vérifier en demandant aux musiciens de battre une pulsation ou de frapper des mains.

Cependant de grandes chances pour que ce schéma soit basé sur des valeurs symétriques ternaires (vu le jeu du tambour et le hochet) :

 

Soit 4 tps subdivisés de façon ternaire = 12/8, donc à écrire :       

NC  NC NC-CN

 

 

Cette formule rythmique donnée par les bâtons entrechoqués, construite sur 12 unités minimales, est très répandue en Afrique,

au point que le missionnaire Arthur Jones, le premier à avoir remarqué sa récurrence dans un ouvrage qui date de 1959, l’a appelée « standard pattern ».

 

= Longtemps décrite, selon les auteurs, comme un rythme en :

3 + 3 + 2 + 2 + 2,

ou 2 + 1 + 2 + 1 + 2 + 2 + 2

 

 

Jusqu’à ce qu’on s’aperçoive qu’il ne s’agit pas d’un rythme additif (vrai aksak, selon J. Cler), mais de ce que Kubik appelle une « asymmetric timeline » : = ligne de temps asymétrique.

 

Expression que l’on pourrait traduire en français par « formule-clé » asymétrique ?

 

= Formule asymétrique intermédiaire entre une structure métrique de référence basée sur des valeurs symétriques, et la réalisation polyrythmique qui, elle, joue précisément sur l’ambiguïté binaire-ternaire qu’entretient cette formule :

 

cf. les différents musiciens tour à tour en cométricité, ou en contramétricité par rapport à cette formule, dont le rôle est, du coup, de faire le lien entre tous les musiciens. 

 

Cf. polycopié : carte de Kubik (Garland, Africa, p. 308) :

Kubik relève une certaine concordance entre l’aire d’extension des cultes religieux associés aux danses de masque,

la présence de cloches en fer frappées sans battant interne — cloches simples ou doubles (flange welded = flancs soudés) — qui accompagnent souvent ces cultes,

et les fameuses « asymmetric timelines ».

 

Aire d’extension qui comprend toute la côte du Golfe de Guinée (zone forestière de l’Afrique de l’Ouest), l’Afrique Centrale et la partie sud de l’Afrique Orientale.

= approximativement l’aire d’extension du peuplement bantou

 

Ces timelines (ou formules-clé) sont basées sur des périodes de 12 unités minimales (= cas du « standard pattern »), mais aussi de 8 ou de 16 unités minimales.

Souvent jouées sur des cloches, mais pas seulement (cf. bâtons entrechoqués de type « clave », etc.)… 

 

 

Ex. musical 8, Plateau central du Nigeria : population Yergam.

Musiques de sifflets pour la célébration de la moisson : rite saisonnier.

 

Dizaine de sifflets de roseaux de différentes longueurs : chacun donne un son correspondant à sa taille.

chaque sifflet exécute un motif rythm. de base différent, l’ensemble tressant des motifs élaborés = contrepoint ici encore en hoquet.

 

+ voix masculines

+ un idiophone frappé métallique (cloche) et un tambour tonneau, battu avec une baguette courbe.

+ un hochet en calebasse.

 

Relevez la formule-clé asymétrique donnée par l’idiophone :

 

CC  N   CN   CN  C(C)N   N   N   N   N    s    N   CN     CN

1      2    3   4     5   6      7    8    9   10  11  12  13  14   15  16

= (2 + 3 + 3 + 3 + 3 + 2 + 2 + 2 + 2 + 2 + 2 + 3 + 3 / 32) ?

 

Ici, période de 32 unités minimales à la croche (valeur divisionnaire), qui coïncide avec le cycle des sifflets.

Cf. C’est la coïncidence entre cycles des sifflets et de l’idiophone frappé qui nous indique ici le début de la période , soit le 1er temps du mètre.

 

• Sifflets et voix, ainsi que tambour, sont certes relativement cométriques par rapport à cette formule-clé de la cloche : du moins, de nombreux accents identiques.

 

• Mais la pulsation donnée par le hochet (seul instrument à jouer un rythme régulier sur 26 temps à la noire) nous indique que le schéma métrique sous-jacent pensé par les musiciens est bien de 16 temps, donc logique divisive binaire : = 16/4.

 

 

Donc à écrire comme suit :

 

2C  N   2C-2C  N   2C  N   N   N   N    N    s    N   2C-2C  N

1     2    3    4     5    6     7    8    9   10   11  12  13  14   15  16

 

 

 

Petite parenthèse terminologique :

 

La déf. de « polyrythmie » ds le glossaire distribué est erronée (à lire…) :

La pulsation qui sous-tend une polyrythmie, et a fortiori sa matérialisation par une battue, est évidemment tjs la même pour tous, même lorsque les gens jouent par exemple du binaire sur du ternaire !

Cf. Polyrythmie au sens étymologique du terme = tout simplement l’exécution simultanée de rythmes différents (cf. étym. : « plusieurs rythmes »).

Mais la structure sous-jacente, c’est-à-dire le mètre, est néanmoins la même !

 

Cf. aussi : Agawu, qui dénonce ds le même ordre d’idée la notion de « polymeter » comme non pertinente (cf. Representing African Music, chap. 4) :

polymétrie = en théorie, superposition de mètres différents.

 

Mais même lorsque des musiciens semblent jouer simultanément sur des mètres différents, ils n’en sont pas moins coordonnés par une même référence métrique mentale, parfois frappée des mains, parfois donnée au sein de la danse :

en l’occurrence un long mètre sur lequel ils se retrouvent tous au bout d’un certain nombre de cycles :

 

Exemple :

 

Idiophone frappé en (2 + 2 + 2 + 2 + 2 + 3 + 2 + 2 + 2 + 2 + 3 / 24 ?) : 

         N   N  N  N   N  N  CN  N  N  N   N  C

Tambour lead en 2/4 :                      CN.    CN.    CN.   CN.   CN.    CN.       

Tambour accompagnateur en 3/4 : 2C 2C N 2C 2C N 2C 2CN 2C 2C N

Frappements de mains donnant la pulsation :

                                                         N.   N.    N.    N.    N.    N.   N.    N.

 

= Cette pulse nous indique que les musiciens pensent en fait du 24/8 (c’est leur dénominateur commun), soit une subdivision ternaire (3 + 3 + 3 + 3 + 3 + 3 + 3 + 3).

 

         Notion de « polymétrie » donc pas véritablement pertinente.

 

Ajoutons qu’il s’agit ici encore d’un exemple-type de polyrythmie, où une formule-clé asymétrique fait le lien entre les différentes parties, mais où les effets contramétriques ponctuels des uns et des autres par rapport à cette formule montrent qu’on est bien dans une logique divise, qui renvoie à un mètre sous-jacent basé sur des valeurs symétriques, isochrones (que cette pulsation régulière soit ou non matérialisée, comme elle l’est ici par les frappements de main, ou précédemment par le hochet).

Donc pas de l’aksak à proprement parler, au sens balkanique du terme.

Après écoute de nombreux exemples, il semblerait qu’il n’y ait effectivement pas (ou très peu ?) de rythmes aksak (c’est-à-dire additifs) en Afrique subsaharienne (cf. thèse d’ailleurs défendue par K. Agawu).

 

 

Et qu’en est-il de l’hétérométrie ?

succession — et non plus superposition— de mètres différents (dans le temps) ?

On peut accepter cette notion comme valide, mais furieusement imprécise :

 

Encore faut-il distinguer à quel procédé on a affaire :

 

3 cas possibles :

• lorsqu’il y a changement de périodicité (nombre d’unités de temps au sein de la période) :

Par ex. Passage d’un 4/4 à un 6/4 au sein d’une même pièce :

= passage de 4 unités de temps au sein de la période à 6, l’unité de temps (la noire), et donc le tempo, restant les mêmes.

De même que la subdivision du tps : on reste en binaire.

 

• Cas d’un changement d’unité de temps :

Ex. passage d’un 4/4    - à un 4/2 = passage à la blanche  / B B B B /

                                      - ou à un 4/8 = passage à la croche  / C C C C /

Le schéma accentuel reste le même (i.e. binaire ici) :

seul change le tempo (la période dure plus longtemps ou moins longtemps, mais comprend tjs le même nombre d’unités de temps) :

Il me semble alors plus précis de parler de dédoublement de tempo (dans le premier cas),

ou au contraire, de doublement de tempo (dans le second cas).

 

• Cas d’un changement de schéma accentuel (de subdivision du temps) :

Ex. Passage d’un 3/4 à un 6/8 (ou 6/4 à 12/8) : de N N N à N.  N.

= changement de schéma accentuel, par passage d’une subdivision binaire à ternaire. Mais la période et le tempo restent en revanche les mêmes.

 

Il y a donc 3 dimensions qui composent un mètre :

-         L’unité de temps (qui donne la pulse et son tempo).

-         La période (le nb d’unités de temps)

-         Le schéma accentuel (donné par le mode de subdivision du temps).

 

 

 

De tels cas d’hétérométrie existent dans les musiques de tradition orale (ex. passage d’un 4/4 à un 6/4) :

encore faut-il se demander s’ils ne sont pas tout simplement l’indice d’un changement de pièce ?

Cf. ds de nb. trad. musicales, on ne s’arrête pas nécessairement entre deux morceaux. Fréquent que les musiciens enchaînent sans aucune transition. Surtout en circonstances festives ou cérémonielles.

 

  

 

 

E/ Poursuivons avec la problématique des rythmes additifs et divisifs, et des formules-clés asymétriques (ou time-lines, selon les termes de Kubik) :

 

= prétexte à étudier un certain nombre de systèmes rythmiques selon une même grille de lecture… 

 

Syst. de formules-clé a voyagé jusqu’en Amérique par le biais de la traite esclavagiste : très répandu ds les musiques afro-américaines.

 

Cf. carte de Kubik : on se rappelle que ces formules sont en Afrique particulièrement présentes dans tous les pays côtiers du Golfe de Guinée et d’Afrique Centrale (jusqu’au Congo – Angola)

= précisément les régions où étaient implantés les ports qui emmenaient les esclaves à destination de l’Amérique et des Caraïbes.

 

Ex. des Caraïbes, avec le cas de Cuba (mais on trouve aussi ces mêmes systèmes ds nombre de musiques afro-américaines) :

 

Les formules rythmiques afro-cubaines appelées « claves » (litt. “clé”) :

= formules emblématiques de la musique cubaine, que l’on retrouve entre autre chez les populations qui ont fourni le plus d’esclaves à Cuba : pop. bantu et yoruba.

 

Formules qui, ds la musique africaine, doivent avoir un rôle cognitif et identitaire important, puisqu’elles ont résisté à l’acculturation brutale engendrée par la traite esclavagiste au point de devenir, littéralement, les « clés » de la musique cubaine.

 

Comme en Afrique, elles constituent un élément rythmique qui structure la totalité du jeu polyrythmique, même au sein de genres musicaux acculturés à la musique tonale, comme par exemple le son cubain.

 

Il y a essentiellement 2 types de claves cubaines : celle du son et celle de la rumba :

 

- Clave rumba (ou clave negra) : née à la Havane ds les années 1850.

 

N.    N. ds  C / s  N    N  s /

3  +  4   +   3   +  2  +  4    = 16C

 

 

Plusieurs sous-genres ds la rumba :

division binaire du temps : yambu, guaguanco ≠ ternaire : columbia.

 

- Clave son : que l’on retrouve ds la salsa

(cf. salsa née dans les années 60-70, dans le creuset du milieu cubain et portoricain immigré à New York).

 

N.    N.     N / s   N     N  s /

3  +  3  +   4   +   2  +  4    = 16C

 

 

1 côté où 3 coups sont frappés (= dit « côté 3 de la clave »).

1 côté où 2 coups sont frappés (= dit « côté 2 de la clave ») .

 

Selon les morceaux, on dira qu’on est en clave 2/3, ou au contraire en clave 3/2 (selon que la pièce commence sur le côté 3 ou le côté 2 de la clave). 

 

Cette clave se réalise sur 2 bâtons entrechoqués également appelés « claves ».

Le terme même de clave est d’ailleurs lié à l’histoire de cet instrument : né ds les ports cubains de la Havane, où les ouvriers ont adapté à des fins musicales les grosses chevilles de bois appelés claves (clés) qu’ils utilisaient pour la réparation des navires.

 

 

Ex. du son cubain :

Genre né en milieu rural ds la région de Santiago (pointe sud-est de l’île) à la fin du XIXème,

et qui, plus encore que la rumba, relève d’une profonde interaction (synthèse) entre la culture musicale hispanique et les cultures africaines importées à Cuba.

 

Structure formelle : en 2 parties :

- l’une, fermée, qui consiste en l’énonciation d’un chant fixe (canto) en plusieurs couplets, alternant avec un refrain chanté par le chœur (coro).

- l’autre, ouverte, fait alterner solo vocal ou instrumental (pregon) et refrain chanté par un chœur (coro).

= forme responsoriale soliste / chœur, appelée montuno (“del monte” : de la montagne).

 

De façon assez grossière :

- Apports européens : une partie des instruments : c’est-à-dire les instruments à cordes = tres (petit luth à 3 cordes doubles) ou cuatro (une double corde en plus ds le grave) et contrebasse (autrefois le grand lamellophone marimbula).

+ le type de mélodie, et surtout, le patron harmonique, qui dérive de la contredanse (danzon cubain) née dans les salons espagnols.

 

-         Apports africains : l’autre partie des instruments : les bongos (double tambour cylindrique à une membrane), la cloche frappée campana et les hochets maracas, la forme responsoriale du chant, la polyrythmie basée sur la clave, formule-clé asymétrique (du 3 et du 2).

 

Les musiciens cubains ne peuvent jouer sans penser cette formule-clé asymétrique, sur laquelle est basée toute l’architecture rythmique :

cf. ils comptent d’ailleurs tjs en claves, et non en mesures… 

 

Les différents rythmes joués par chaque instrument s’imbriquent les uns ds les autres en fonction de la clave, qui tisse en fait la trame métrique qui se dégage de l’ensemble polyrythmique.

 

= Tous interdépendants, le lien entre eux étant précisément donné par la clave.

Cf. Accents pensés par rapport à la clave : on est cométrique ou contramétrique par rapport à la clave (« avec » ou « contre » la clave).

 

 

Ex musical 9 : CD La familia de Valera Miranda : (= famille type de musiciens de la région de l’Oriente où est né le son).

Clave 2/3 ou 3/2 ?

 

Structure de base : sans les variations :

                                                       1        2     3      4  /  1     2      3     4

                                              

                                              

Clave                                               s       N    N     s   /  N.      N.         N

 

 

Martillo (marteau) des bongos       4C          4C        /   4C        4C

Avec accents sur le 1er et le 3è temps.

= rythme de base, mais improvise en interaction avec le chanteur et le joueur de tres. (peaux sont accordées à la quinte : aigus marquent les accents sur le 1 et 3)

+ relayé par la cloche campana ds les montuno (parties improvisées).

 

Maracas                                          ds C  2C  ds C 2C / ds C 2C ds C 2C
Ils démarrent tjs en levée par rapport au 1 et au 3 ≠ bongos : emplissent en fait de leur timbre aigu les insterstices laissés vacants par les autres instruments rythmiques

 

Tumbao de la contrebasse              -N.      N.          N-/-N.        N.         N-

Le 1er temps n’est donc pas marqué. Accents sur la levée du 2è temps et sur le 4è temps.

= interventions syncopées (jeu sur les tps faibles qui se prolonge sur les tps forts) : cométrique par rapport au côté 3 de la clave / contramétrique par rapport au côté 2 + donne le soutien harmonique.

 

Montuno du luth tres                       -N     CN      N    C-/-C  N   N      N  C-

soutient le chant par une formule contrapuntique : presque tjs en levée par rapport au temps = joue un contrechant.

Cf. ici, hors variations :                             -Do  Mib Fa  Lab  Sol     Si   Fa    Lab Do-

 

 

= entrelacement total des parties : véritable polyrythmie (contrepoint rythmique, ou « effets contramétriques »).

 

Remarque : Ici, clave 2/3.

si l’on essaie de battre la clave à l’envers (en 3/2), cela perturbe les appuis.

 

 

0’00 à 2’02 : Forme responsoriale avec couplet / refrain (canto / coro)

2’02 : improvisation du luth tres : pregon

à 2’54 : reprend de nouveau le chant, pour laisser place à une impro de bongo.

3’37 : reprise du chant / refrain.

 

Dans une logique aksak additive, on pourrait dire qu’il s’agit d’un mètre de type : 2 + 4  + 3 + 3 + 4

 

Mais cette formule-clé présente un arrière-plan binaire, construit sur une période de 2 mesures à 2 tps (cf. salsa svt écrite en 4/4, mais balancement en réalité senti en 2/2, à la blanche, voire en 4/2 si l’on compte en claves et non en mesures). 

Pas seulement lié au fait que cette musique soit maintenant écrite.

La danse elle-même est basée sur un pas en 4 temps, le 1er et le 3ème tps étant accentués (et le 4 pas tjs marqué).

 

= jeu polyrythmique de résonance typiquement africaine :

sous-tendu par un mètre régulier (= logique divisive), mais où les différents instruments se coordonnent les uns par rapport aux autres en se référant à une formule-clé asymétrique.

 

 

 

 

 

 

 

F/ Autre exemple : les mètres indiens ou tâl(a)

 

         Selon la théorie musicale indienne, la musique peut être soit anibaddh (litt. non liée, c’est-à-dire sans structure métrique prédéfinie : ce qui inclut l’alap, préludes que l’on dit “non mesuré”),

soit nibaddh (litt. liée, c’est-à-dire basée sur des tâla) :

 

Tala = “paume de la main” : désigne une structure métrique, au sein de laquelle s’élabore le jeu du tambour à membranes tabla.

Il existe environ une 20aine de tâla couramment pratiqués.

 

Tout tâl est fondé sur l’interaction de 3 éléments :

- les matra (unités de temps)

- les vibhag (sections, qui découpent le schéma acentuel)

- l’avart (cycle, ou période)

 

Selon la théorie classique, un cycle (avart) comprend un certain nombre de temps (matra) – entre 6 et 16 – et se subdivise en pl. sections (vibhag), qui ne sont pas nécessairement d’égale longueur.

 

Ex. Tâl Jhaptal : 10 matra, 4 vibhag de [2 + 3 + 2 + 3] matra

 

1                                                                                                     1 avart

1                 2                          3                 4                                    4 vibhag

1       2       3       4       5       6       7       8       9       10               10 matra

 

 

Ex. Tâl Tîntâl : 16 matra, 4 vibhag de [4 + 4 + 4 + 4] matra

 

1                                                                                                     1 avart

1                 2                 3                         4                                              4 vibhag

1   2   3   4   5   6   7   8   9   10          11   12   13   14    15   16             16 matra

 

R. Le premier pourrait être considéré comme un aksak pair (2 + 3 + 2 + 3 / 10), tandis que le second présente un mètre régulier.

 

Donc les 2 principes qui coexistent ds la musique indienne : pas particulièrement différenciés du point de vue de la théorie.

 

Les différents vibhag qui confèrent au tâl sa structure sont indiqués lors de l’apprentissage gestuel des rythmes = chironomie

Cf. le musicien marque le premier matra de chaque vibhag (= le premier temps) par sa gestuelle (chironomie, du grec kheir > kiro : main) :

 

2 gestes principaux sont utilisés :

- tali (battue) = tps accentués par frappes des mains (indiqués + )

- khali = tps dit “vide” (correspond ds la chironomie à la paume ouverte), mais où le tabliste joue en fait principalement des frappes avec les mains à plat, donnant un timbre plus rond. (indiqué 0)

 + Le premier temps du cycle appelé sama : « repos ap. agitation » = valeur rythm. considérée comme positive ds la philosophie indienne. (svt. indiqué X).

 

Les 1ers tps qui marquent une section n’ont donc pas forcément une valeur égale :

il y a donc hiérarchie accentuelle interne au mètre :

 

Ex. structure métrique du tâl Jhaptal :

 

Sama          tali                       khali           tali

x                 +                          0                 +

1       2       3       4       5       6       7       8       9       10

 

 

 

Ex. Tintal :

 

x                 +                  0                        +

1   2   3   4   5   6   7   8   9   10          11   12   13   14    15   16

 

 

En plus de ce schéma chironomique (= gestuelle de la main où l’on peut articuler même les silences) :

chaque tâl possède une séquence-type de frappes, qui constitue en fait une formule rythmique mnémotechnique qui joue le rôle de signature du tâl :

aide à son identification.

Appelée thekâ.

 

Lors de l’apprentissage, les différents thekâ sont d’abord mémorisés à la voix, à l’aide de formules onomatopéiques qui reproduisent le timbre de chaque frappe :

 

Ex. thekâ de jhaptal :

 

x                 +                          0                 +                         

Dhin  Na     Dhin  Dhin  Na     Tin    Na     Dhin  Dhin  Na = signature rythm theka

1       2       3       4       5       6       7       8       9       10     matra

 

 

Ex. thekâ de tintâl :

x                               +                            0            +

Dha Dhin Dhin Dha Dha Dhin Dhin Dha Dha Tin Tin Ta Ta Dhin Dhin Dha

1        2        3      4      5     6        7       8     9    10   11  12 13   14     15    16

 

cf. 2 tâl peuvent avoir exactement le même nb d’unités de tps – matra – et la même distribution de tali et de khali – tps accentués et tps vides – et ne différer que par leur thekâ.

 

 

Formules monosyllabiques = système mnémotechnique d’onomatopées qui permet de mémoriser les formules et leurs variations en les solfiant d’abord à la voix.

= véritable solfège onomatopéïque appelée bol(a).

 

+ aide à mémoriser la technique de jeu :

A chaque onomatopée correspond un type de frappe sur les tabla :

Avec le bout des doigts, avec un doigt à plat, avec 2 doigts, avec la paume de la main, avec les 2 mains, sur le centre ou sur le rebord de la peau…

 

Cf. Technique de jeu des tabla très complexe, entre autre parce que digitale (grand nb de types de frappes)

+ hauteurs de jeu du coup très diversifiées et précises = instrument qui a une dimension quasi mélodique

 R : pour ce type d’instrument, pertinent d’indiquer les hauteurs de frappe.

 

• Ex. TA et NA = frappe de la main droite du bout de l’index sur le centre de la peau, le petit doigt reposant sur la peau pour l’étouffer légèrement.

• TIN = frappe avec le poignet et le petit doigt ensemble, en tenant la main soulevée par le bout de l’index reposant sur la peau.

• DHA = frappe des 2 mains. L’index de la main droite frappe à plat sur la périphérie de la peau et le petit doigt à plat sur le centre, tandis que la main gauche joue la frappe Ga : = le poignet presse le bord de la peau, tandis que celle-ci est frappée du bout des 4 doigts.

• DHIN = frappe des 2 mains. La main droite frappe Tin, tandis que la main gauche frappe Ga. Etc.

Ex. musical 10 : CD Instruments du monde (par Chatur Lal).

 

 

Parenthèse :

Cf. on trouve le même principe ds le monde arabe :

 

Répertoire de formules rythmiques appelé Ouasn (litt. « mètre », concept équivalent à celui de tâla), dont certaines sont également basées sur la combinaison de segments inégaux.

 

L’enchaînement des frappes (= le solfège de base d’un ouasn) est appelé naqrah (« frapper » = équivalent du mot indien bola). .

 

Les principaux éléments onomatopéiques d’un naqrah sont donc Dum, frappé sur le centre de la peau, et donc plus grave,

et Tak, frappé sur le rebord de la peau, et donc plus aigu.

 

(≠ Cependant un certain nb d’instr. ds le monde arabo-turco-persan qui donnent également lieu à une techn. de jeu digitale, avec toute une gamme de timbres : notamment le derbouka, que l’on retrouve sous des différentes appellations ds toute cette aire : derbuk, darbuk, derbek…).

 

Pour en revenir à l’Inde :

Un tal est donc bien plus qu’un simple mètre :

car il induit un motif rythmique-type (theka), qui inclut non seulement des paramètres d’accentuation et de durées, mais également de timbre du tabla.

 

= forme rythmique emmagasinée ds l’esprit de l’auditeur, et pour qui tout le plaisir du rythme (critères d’appréciation) va provenir de l’habilité du musicien à varier, à jouer d’écarts par rapport à cette forme sous-jacente.

Au point que le musicien ne fera pfs entendre la formule rythmique de base thekâ qu’au bout de plusieurs minutes de jeu.

 

Enfin, dernier paramètre important : le tempo ou lay.

Cf. La théorie distingue 3 types de tempi :

rapide (druta),

moyen (madhya)

et lent (vilambita).

= chacun représente une durée double du précédent : concerne donc la vitesse de la pulsation, mais également la densité des formules jouées.

 

+ Variations de tempo appelées yati : « mouvement » (= dynamique temporelle).

Cf. 3 mvts possibles en cours de jeu :

Mvt égal (sama),

accéléré ou ralenti (srotogat)

et variable (gopuccha : “en queue de vache”) = tantôt rapide, tantôt lent !

 

Récapitulons :

Si l’on considère les différents niveaux de structuration du mètre (unités de tps matra, section vibhag et cycle complet avart),

tps structurellement les plus forts du point de vue de la perception sont ceux qui apparaissent sur les 3 niveaux 

≠ les plus faibles : ceux qui n’interviennent que sur un seul niveau, celui de l’unité de temps.

= critères qui dessinent la matrice rythmique de référence : = la structure métrique accentuelle.

 

Ex. Tal jhaptal : cf. schéma Clayton.

 

(1      2       3       4       5       6       7       8       9       10)

•        •        •        •        •        •        •        •        •        •        Matra

•                 •                           •                 •                           Vibhag

•                                                                                             Avart

 

 

 

+ Et même un quatrième niveau lié au temps vide khali (différence de timbre au tambour), qui marque un demi-cycle : 5 + 5

 

x                 +                          0                 +

•                                              •                                              Demi-cycle 5 + 5

4                 2                          3                 2               

 

= hiérarchie accentuelle très précise.

 

 

Ex. musical 11 : CD Inde vol. I Daniélou (en tal jhaptal : mètre de 10 tps)

 

Mode Ahiri-Lalita sur le sitar, par Ravi shankar (4 cordes mélod., 2 cordes de bourdon – fonda et octave — et 11 à 1 » cordes sympathiques accordées sur le mode : vibrent par résonance lors du jeu des cordes principales).

+ accompagnement de tanpura (luth d’acc à 4 cordes : pédale harmonique de résonance prolongée),

et de tabla par Chaturlal.

 

Tabla : = tambour double

Timbale hémisphérique Bayan (gauche) : jouée avec la main gauche. Plus grave, d’accord moins précis. Elle qui marque le schéma métrique.

 

≠ Variations et impro jouées principalement de la main droite, sur le tambour cylindrique tabla à proprement parler, ou Dayan (droite).

 

Son système de cordage, entre lesquels sont insérés des petits rouleaux de bois permettant de faire varier la tension de la peau, favorise un accord très précis.  

 

Impro rythmique se développe parallèlement à l’impro de l’instr. mélod. et se juxtapose à elle.

Ds certaines pièces : certaines parties peuvent donner lieu à de véritables joutes de virtuosité entre le sitar ou la vina (cithare sur bâton, avec 2 résonateurs en courge), et le joueur de tabla.

≠ Mais ici, pas de solo du tabliste : marque le mètre de façon assez claire et c’est le sitar qui joue à s’émanciper du mètre.

 

Écoute

Repérer le cycle

- Alap non mesuré jusqu’à 1’44. (annonce le thème pour le tabliste à 1’39)

- Vilambit gat (thème lent et impro sur le mode).

Cf. coup aigu qui marque le temps vide khali à 1’56 (bien audible aussi à 2’16)..

Pour l’entendre, essayez de décompter 1 2   1 2 3  11 2 3… 

- 3’55 : thème rapide Drut Gat… 

 

Que ce soit au niveau de l’impro du tabliste (main droite sur le tambour dayan), ou de celle du sitariste (ou du joueur de vina), la qualité de l’interprétation viendra de l’aptitude de chacun à jouer d’écarts et de contre-temps par rapport au schéma métrique sous-jacent… 

 

Tout l’art consiste précisément à le faire sentir tout en s’en démarquant : En jouant tantôt binaire, tantôt ternaire… 

= effets contramétrique qui relèvent bien d’une logique divisive, ici encore :

 

au delà de 2 + 3 + 2 + 3, le sitariste et la main droite du tabliste pensent la subdivision en 10 (voire des cycles plus longs de 20, etc.), comme agençable de multiples manières.

 

2ème écoute : repérer les effets contramétriques :

A partir de 2’00 :

- 2’06 à 2’21 : thème varié : les accents coïncident parfaitement avec le schéma métrique donné par le tabla

- 2’21 à 2’40 : impro, avec jeu contramétrique du sitar.

Puis retour sur le thème et ses variations (schéma accentuel bien marqué).

- Idem de 3’01 à 3’14 : jeu contramétrique du luth sitar

puis retour sur le thème, qui marque bien le schéma accentuel.

- 3’45 : courte impro des tabla

- 3’55 : thème rapide progressivement introduit.

- à 4’46 : passages contramétriques…

 

Il arrive même que ds certaines pièces, le tabliste introduise au sein d’un tal des variations ds un autre tal.

Ex. Passe ponctuellement en jhaptal au sein d’un mètre tintal.

 

= Effets contramétriques qui révèlent ici encore que, bien que nous soyons en présence d’un mètre irrégulier, asymétrique, qui peut même se matérialiser sous la forme d’une formule-clé de base (le thekâ) constituant la référence pensée par tous les musiciens, ce mètre n’en est pas moins conçu de façon divisive.

 

On n’a donc ni affaire à une organisation de type contramétrique dans un cadre métrique régulier (10 = par ex. 2 + 2 + 2 + 2 + 2 : ce que Jérôme Cler appelle le rythme divisif de type occidental,

et dans lequel on a vu qu’on pouvait probablement inclure les rythmes d’Afrique subsaharienne, en dépit de la présence fréquente d’une formule-clé asymétrique intermédiaire),

ni affaire à une organisation de type commétrique dans un cadre métrique irrégulier (10 = 2 + 3 + 2 + 3 pour toutes les parties instr. : rythme typiquement aksak),

         mais, au fond, à une organisation de type contramétrique sur un cadre métrique irrégulier !

= Système que l’on peut dire mixte.

 

 

 

G/ Prenons un dernier exemple basé sur un mètre que l’on a déjà vu (cf. Afrique)

12 = 3 + 3 + 2 + 2 + 2

 

= Précisément l’un des mètres clés du flamenco :

cf. le flamenco est un style musical complexe, et qui recouvre plusieurs genres, que l’on caractérise généralement de chants (cantes), définies en fonction du type d’accompagnement joué à la guitare :

- les cantes a palo seco (sans accompagnement de guitare)

- les cantes a compas (avec accompagnement de guitare mesuré)

- les cantes libres con guitarra (avec accompagnement de guitare non mesuré). Cf. tableau polycopié

 

Ici, ce qui ns intéresse, ce sont évidemment les cantes a compas :

compas = terme générique qui désigne différents mètres harmonico-rythmiques.

 

Or, l’un de ces compas (mètres) est commun à un certain nombre de styles d’accompagnement à la guitare, dits toques :

 

Cf. Un toque comprend à la fois un type d’introduction à la guitare (pas tjs mesuré), une grille harmonique d’accompagnement particulière et des formes précises de variations mélodiques (les phrases variées étant appelées falsetas).

 

+ Enfin, chaque toque peut accompagner différents types mélodiques de chants :

Cf. tableau des types mélod. de chant du flamenco sur polycopié

 

Parmi les différents toques de guitare qui accompagnent les cantes a compas, 3 d’entre eux présentent la même structure métrique :

12 = 3 + 3 + 2 + 2 + 2

A savoir,    le toque por Solea

                   Le toque por Seguiriya

                   Le toque por Petenera

 

Se différencient uniquement en vertu d’un principe de déphasage (cf. Philippe Donnier) : cf. tableau polycopié fig. 5.

= Même schéma accentuel, mais le cycle ne démarre pas au même endroit = décalé : la différence se ressent notamment par rapport à la structure harmonique.

 

+ tjs ds le même compas, un dernier toque plus complexe :

le toque por buleria, qui se caractérise par un jeu très rubato et de nombreux points d’orgue qui rendent le mètre plus difficilement identifiable (bien qu’identique).

 

Sur ces différents genres, le chant, lui, est très libre par rapport à la métrique.

= Relativement mesuré (au sens de basé sur une pulse), mais totalement émancipé du mètre sous-jacent = chant ad libitum.

 

Pb posé par ce compas :

S’agit-il d’un 12 tps aksak : 3 + 3 + 2 + 2 + 2 ?

d’un 4 tps (du 12/8) ?

Cf. 3 + 3 + 3 + 3, avec un jeu contramétrique sur les 2 derniers temps ?

ou d’un 6 temps (du 6/4) — 2 + 2 + 2 + 2 + 2 + 2 — avec un jeu contramétrique sur les 3 premiers temps… ?

 

Il est toujours enseigné en accentuant :

Un-dos-tres, quatro-cinco-seis, siete-ocho, nueve-diez, un-dos

= 1  2  3  4  5  6  7  8  9  10  11  12

 

Ex. musical 12 : CD Early Cante Flamenco (pièce du type Seguiriya)

1       2  3  4  5  6  7  8  9  10  11  12

 

Repère : Battre le 1er 3 accentué à partir de l’entrée du chant.

À 0’50, la guitare ne marque plus les accents…

+ chant qui ne respecte pas du tout cette structure métrique sous-jacente : pas du tout cométrique.

 

+ ds les tempi rapides, les variations (falsetas) sont parfois construites sur une structure à 4 tps de subdivision ternaire : 3 + 3 + 3 + 3.

= bien ici encore ds une logique de pensée divisive

(particulièrement sensible dans la buleria).

 

= compas de flamenco qui correspond à la « time-line » des africanistes, sauf que, comme dans l’exemple indien, il est plus qu’une simple formule-clé :

il fait véritablement fonction de mètre.

 

Rien ne permet de trancher ici sur le fait que le schéma de référence soit plus binaire que ternaire (≠ exemples africains).

cf. les palmas et les pieds frappent le même schéma accentuel en 3 + 3 + 2 + 2 + 2…

 

On est donc là aussi un système mixte : avec un mètre asymétrique, mais susceptible de jeux contramétriques (≠ vrai aksak de J. Cler).

 

         Ce n’est pas si étonnant si l’on considère le parcours historique des populations tsiganes, au sein desquels est né le flamenco :

Inde > Europe balkanique > Espagne, marquée par l’influence des Maures en Andalousie.

 

Conclusion : 

À la question de départ posée par J. Cler :

la parité d’un mètre (mètre pair, susceptible d’être divisé en valeurs égales) doit-elle être exclue des composantes de l’aksak ? 

 

Oui, si effectivement aux niveaux de la perception ou de la production, un tel mètre se trouve réduit en unités égales binaires ou ternaires (3 + 3 ou 2 + 2) : on est alors en présence d’une logique divisive.

 

Non, si c’est la succession irrégulière des accents qui domine à tous les niveaux, y compris ds la danse :

= on a alors à faire avec un mètre perçu comme non divisible, composé de l’addition d’unités asymétriques.

 

Autrement dit, tjs se demander ce qui prédomine dans la conception d’une structure rythmique : la logique divisive ou additive ?

 

Tableau des 2 systèmes proposé par Jérôme Clerc :

 

Dominante “régulière” (mètre régulier)      Dominante “Aksak”

Contramétricité possible                                     Commétricité

Division                                                    Addition

Hétérochronie simultanée                          Hétérochronie de succession

(ex. du 2 sur du 3)                                              (ex. du 2 + 3)

 

Dans la dominante régulière peut éventuellement intervenir une formule-clé asymétrique intermédiaire (cf. Afrique subsaharienne, musiques afro-américaines…), bien que le mètre sous-jacent soit régulier.

 

À cela, on peut ajouter une catégorie intermédiaire :

 

= systèmes  « mixtes » ou « intermédiaires », où le mètre est donné comme irrégulier (mais que l’on n’appellera pas de l’aksak à proprement parler, si l’on veut du moins conserver la déf. qu’en donne Jérôme Clerc)

mais contramétricité possible

Division

Hétérochronie simultanée et/ou de succession

(cf. flamenco, musique hindustani, et peut-être, mètres irréguliers du monde arabo-musulman ?)

 



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7 septembre 2011

le doohi burninabée

 

Le sens de la musicalité chez les Peul Jelgoobe du Burkina Faso :

La catégorie de puissance vocale

 

Présentation:

 

    Cet article expose une pratique musicale réalisée par les jeunes bergers Peuls au Burkina Faso. Cette pratique se nomme le doohi. Dans un premier temps l’auteur présente son contexte d’exécution, puis  l’exécution elle-même en décrivant les différentes « voix » formant le doohi. Dans un second temps, l’auteur aborde se qui fait foi au sein de ce jeu, la notion de « puissance vocale ». Cette notion est abordée sous trois angles: tout d’abords musicologiquement, puis musicalement et enfin culturellement.

 

I\ Présentation générale

 

Le doohi

 

    Le doohi est un jeu vocal réalisé essentiellement par les hommes. Bien que celui-ci serve parfois de tremplin à des chants féminins, cet article n’expose pas ce mixage des genres, Le chant des femmes n’influençant pas directement la « puissance » d’un doohi. Le doohi est chanté en ligne de danse. Soudés les un aux autre, les jeunes hommes émettent des sons gutturaux sans paroles soutenus par le rythme d’une calebasse jouer à la main.

    Cette pratique n’est pas intergénérationnelle. Elle est pratiquée dès l’enfance. Les enfants  apprennent des « parodies »du doohi, leur voix étant trop sewi (fine) pour la réalisation des sons gutturaux. La pratique s’arrête, au moment ou l’homme peul pratiquant ce jeu, a un fils pouvant y participer. Le doohi est de ce faite rattaché à une classe d’âge.

    Il n’a pas d’implication rituelle ou religieux se qui ne l’empêche pas d’y être parfois rattaché. Les mariages, les transhumances, les cérémonies (ramadan, tabaski) ou encore les première récolte de mil sont souvent l’occasion pour les jeunes de se rassembler et de le pratiquer. La récolte du mil nécessite des paniers réalisé à partir d’herbes que les jeunes femmes vont récolter et réaliser pendant une semaine. Cette semaine rassembles homme et femme d’une vingtaine de communautés et se nomme le sofoodu. Festif le doohi y est présent chaque soir. Les groupes de doohi y rivalise alors « dans l’art du chant et de la séduction ».(article S.Loncke)

 

   

Les « voix » du doohi. (Terminologie peul, et structure générale du doohi)

 

    De nom vernaculaire « daade doohi », Les voix du doohi sont chantées en tuilage, les voix se succèdent s’entremêles par groupes de chant. Appelée voix À et B ces deux groupes chantent des sortes d’onomatopées aux sons articulés plus ou moins difficile à réaliser. Un meneur (puddoowo) présent dans le groupe A, fait évoluer les voix des deux groupes en proposant des nouvelles onomatopées, au moment de juxtaposition des voix.

    Innde daade désigne le nom de ces onomatopées.  [He], [humo], [hije], [hemma]. Le concept de modèles et de dérivation y est présent appelé en terminologie peul caldi et masal caldi.

     Les caldi, (litt. Embranchement, fourche) désigne l’émission de chacun de ces « onomatopée », réalisée en un souffle, comprenant ces moments charnières. Ces charnières sont des sortes de moment relais  « les un reprenant leur respirations pendant que les autres chantent ».

     Les masal caldi sont des dérivées réalisée souvent a partir de jeux de glotte sur le début des caldi. Ces caldi se succèdent donc en question répons pour ne faire qu’un son. Une question réponse se nomme un « segment ».  L’ensemble de « segment » fait sur un même innde daade (caldi, masal caldi) se nomme « séquence du son » ex : [humo].

 

II\ La puissance

 

L’approche musicologique : Difficultés techniques et maitrise du son.

 

   Chaque caldi (et leur variantes) sont plus ou moins difficiles à réaliser. Chaque son est réalisé en un seul souffle, Chacun d’entre eux possède un registre haut (dow) et bas (ley). L’intervalle séparant ces registres est une contrainte déterminante. Entre ces deux registres chaque caldi fait un mouvement ascendant ou descendant ce qui laisse paraitre une conception vertical des « voix ». Les voyelles peuvent être ouvertes ou fermés et sont aussi déterminante sur la difficulté d’exécutions. Les A et les O sont de faite plus facile à réaliser que les I ou les J. Chaque caldi a ainsi un rôle et une fonction musicale prédéfini selon leurs contraintes vocales.

   Le [he] sert à échauffer ou à reposer la voix. Facile à réaliser il sert aussi de « voix » d’apprentissage pour les enfants, au même titre que le [haga] et le [hewa] (parodie du doohi). Le [hemma], le [humo] et le [Hije] sont ici, respectivement classé par ordre de difficulté. [Humo] et [hije] permettent l’obtention de la« puissance ». 

   Le [hije] est réalisée dans un mouvement sonore descendant. Le H (attaque du son) est une expiration violente dans les aigus. Elle est vu par les musiciens comme une explosion de souffle, venant des côtes, appelée henndee daande (litt. Vent, souffle sur la voix). Le J en transition de registres (haut/bas), rend le mouvement descendant « abrupte ». Le son, fini dans un bourdon de gorge (registre du bas) vu par les musiciens comme une « trainé » (yaara esse esse). La « puissance » du [Hije] vient du faite que les techniques vocales employées sont très distincts. Séparé de façon abrupte ces deux techniques permettent, si les difficultés vocale et rythmique sont maitrisées par le groupe, de faire ressortir deux voix continues une aigu et explosive et l’autre grave et bourdonnante.

   Abordé de manière formelle, l’auteur offre donc, dans cette approche musicologique, une hiérarchisation et une compréhension des techniques de réalisation des vocables du doohi. L’auteur découvre ainsi le résultat esthétique visé par les groupes de chanteurs : La « fission ».

 

L’approche musical: « Puissance » ou « fission », une cohésion musicale et humaine.

    

   La « puissance » est analogue aux concepts de « fission ». La deuxième approche est de ce faite, une mise en perspective de la « puissance vocale » peul, dans les critères de la notion de« fission acoustique», concept européenne proposé par des psycho-acousticiens. L’auteur permet ainsi de faire une passerelle conceptuelle facilitant la compréhension de cette pensée musicale.

   Les critères de la fission sont les suivants : proximité spatiale des différentes sources, la similarité des sons entendus, la continuité des voix allant dans la même direction. Reprenant ces axes l’auteur développe la pensée musicale du doohi et rajoute :

    La proximité temporelle le jeu du doohi nécessite une coordination exacte rythmiquement et une cohésion totale du groupe. Cette Synchronisation est appelée chez les Jelgoobe le daande wootere qui signifie « une seul voix ». La similitude des timbres est avant tout une question d’écoute de chaque chanteur cherchant l’homogénéité pour oublier l’individualisme. La répétitivité et le dynamisme renvois au respect de la musicalité collective, et respecte donc l’échauffement des voix de chacun et de l’évolution émotionnelle du moment. Tel des avironistes, ils cherchent l’aérobie commun pour pouvoir être performant sur la longueur. (Parfois des nuits entières). Le tempo est le critère qui crée ces voix horizontales, trop lent elles n’apparaissent pas. Il est une résultante du dynamisme musicale, lui-même résultant des timbres et du rythme. Le proverbe suivant « rien ne sert de courir il faut partir à point », autrement dit rien ne sert d’augmenter la vitesse d’exécution ci les voix ne sont pas parfaitement en place, rythmiquement et vocalement. Le tempo est générateur de « fission », de « puissance » mais aussi d’épuisement mieux vaut donc être à l’écoute des corps et des esprits individuels et collectifs.         

 

L’approche culturelle : du tissu vocale au tissu sociale 

 

   Pour finir cet article remets la pensée musicale du doohi, à échelle de la pensée communautaire des jelgoobe. Cette approche culturelle permet de mieux saisir la fonction sociale du doohi dans sont ensemble. Cette approche plus sensitive et descriptive, soulève entre autre les valeurs communes entre la culture Peul et ça pratique. L’idée de tissue vocale et tissue sociale est sous jacente. La ligne de danse se nomme sekko (litt. Natte de sol) et renvois aux entremêlements de brin de voix. Relais de valeurs le doohi est un reflet de la maturité de l’homme peul devant trouver et ça « voix » et le contrôle de « soie »*; mais aussi reflet de l’harmonie sociale qui est censé régnés au sein d’une même génération. La « puissance émotionnelle » du doohi est donc chargée de ces valeurs mais reste un idéales conceptuels et stylistique fluctuant et aléatoire dans la réalité de la pratique. Le vécu et la musicalité de l’homme étant aussi fluctuant que ces états d’âmes…

 

 

                  

           

 

 

 

 

      

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

7 septembre 2011

l’article sur les polyphonies

Les procédés de superposition dans les musiques de tradition orale

Sandrine Loncke, 2009

 

 

Lire l’article sur les polyphonies :

 

FERNANDO Nathalie et al. : « Typologie des techniques polyphoniques », in Jean-Jacques Nattiez, dir. : Musiques. Une encyclopédie pour le XXIe siècle. Vol. V, Arles/Paris : Actes Sud/Cité de la Musique : 1088-1109, 2007.

 

 

Le but de ce cours est d’approfondir la question en l’illustrant d’exemples musicaux, et ce faisant, de tenter de confronter la typologie proposée par l’article à la complexité des formes musicales que l’on trouve sur le terrain.

 

Introduction

 

Il s’agit de se demander, lorsqu’on est en présence, dans une musique, de superposition de parties différentes (vocales et/ou instrumentales), quel est le procédé qui sous-tend leur agencement.

 

Donc de voir les différentes catégories (vocabulaire descriptif de base = terminologie) qui permettent de caractériser les procédés de superposition représentés dans les musiques de tradition orale, dans le but d’une écoute analytique.

 

En s’appuyant sur différents exemples musicaux, pour la plupart empruntés à l’Afrique subsaharienne :

 

- pour la bonne raison qu’on y trouve représentés quasiment tous les types de procédés polyphoniques

(cf. l’Afrique est riche sur le plan rythmique, mais on oublie souvent qu’elle l’est également sur le plan des procédés polyphoniques),

 

- parce que leur comparaison permet un éclairage particulier sur la genèse de ces procédés (quelle pensée les sous-tend : horizontale ou verticale ?) :

= éclairage différent de celui qu’apporte la connaissance des procédés polyphoniques occidentaux

 

- parce que je ne me sens pas capable de vous dresser un tableau représentatif des procédés polyphoniques que l’on trouve par exemple en Asie (mais à ma connaissance, tous les types n’y sont pas représentés), en Europe ou en Amérique, aires culturelles qui ne sont pas mon domaine de spécialisation.

 

Ceci dit, la terminologie que je vais vous présenter ici est évidemment valable en dehors du continent africain :

encore une fois, c’est celle qui fait globalement consensus chez les ethnomusicologues, même si certains points font, là aussi, encore l’objet de débats.

 

Cf. je vous renvoie à la bibliographie, avec notamment :

 

AROM, Simha

1985                Polyphonies et Polyrythmies d'Afrique Centrale : structure et méthodologie, Paris, SELAF, 2 vol.

AROM. Simha & MEYER, Christian (sous la dir.)

1993                Les polyphonies populaires russes, Actes du Colloque de Royaumont 1991, Paris, Créaphis (Association Polyphonies vivantes).

MÉYER, Christian (éd.)

1993                Polyphonies de tradition orale. Histoire et traditions vivantes, Paris, Créaphis (Collection Rencontres à Royaumont).

 

 

1ère chose évidemment à se demander lorsqu’on veut qualifier un procédé de superposition :

le type de formation auquel on a affaire :

 

- formation instrumentale (avec instruments de même type, de tpes différents)

- formation vocale

- formation voco-instrumentale

 

Puis le nombre de parties différentes que l’on arrive à percevoir au sein de la formation :

 

sur le terrain, il peut être nécessaire de les enregistrer séparément pour bien comprendre ce que chacun fait : pour parvenir à dissocier chaque partie.

 

Mais concrètement, il n’est pas toujours évident, dans les musiques de tradition orale, que les gens parviennent à vous jouer intégralement leur partie sans le soutien des autres.

Ou alors, ce qu’on obtient est un pâle modèle de ce que les gens réalisent en réalité de façon variée lorsque l’ensemble est présent.

 

Et puis, en enregistrant séparément chaque partie, on perd précisément la façon dont elles s’imbriquent temporellement les unes par rapport aux autres.

 

La solution serait donc de réaliser des enregistrements hors situation en multi-piste. Mais implique un matériel souvent trop lourd pour le terrain.

 

Autre solution plus simple, mais moins efficace :

déplacer ses micros, pour saisir tour à tour en premier plan les différentes parties, tout en ramassant simultanément en arrière-plan le reste de la formation.

 

 

PETIT RAPPEL TERMINOLOGIQUE :

 

• Lorsqu’on n’a qu’une seule partie — une seule voix —, on parlera simplement de monodie (= une seule mélodie) :

 

- qu’il s’agisse de chant monodique,

- ou du jeu d’un instrument monodique, qui ne permet pas l’exécution simultanée de parties musicales différentes (≠ instruments polyphoniques).

Dans la monodie, il n’y a évidemment pas de superposition.

 

 

• Ensemble choral ou instrumental qui exécute simultanément la même ligne musicale :

Jouer à l’unisson = monophonie (plusieurs voix qui exécutent simultanément une même partie, avec éventuellement un intervalle d’octave entre voix masculines et féminines).

Lorsqu’il s’agit d’un chant choral monophonique sans accompagnement instrumental : 

= a cappella : « à la manière de la chapelle » (cf. en réf. aux chœurs d’église sans accompagnement instrumental). 

Là aussi, pas de procédé de superposition, puisque tout le monde fait la même chose simultanément.

 

 

• Cas qui nous intéresse ici :

lorsque sont jouées simultanément plusieurs parties différentes,

que ce soit sur le plan rythmique et/ou mélodique

= au sens strict, ce qu’on appelle la polyphonie : étym. « plusieurs voix » (≠ monodie, monophonie / unisson).

 

L’historique du terme ds la musique occidentale en fait un terme dont le champ de définition est assez large :

Revenir rapidement sur cette historique paraît nécessaire pour comprendre la distinction que nous allons établir entre « pensée verticale » et « pensée horizontale ».

 

- au départ, le terme « polyphonie » fait réf. à la polyph. médiévale, avec une pensée encore proche de la monophonie (homorythmie et voix parallèles : harmonisées par exemple à la quinte), développée entre les Xè – XIIIè siècles.

 

- puis, le sens va aller en se spécifiant :

 

1. L’idée d'indépendance des voix se dvpe à partir du XIVème siècle :

(parties différentes, sur le plan mélod. comme rythm., exécutées simultanément)

= aboutit à la combinaison de lignes musicales indépendantes, ds le contrepoint de la Renaissance.

 

Mais pensée qui reste encore essentiellement linéaire : les parties se développent les unes par rapport aux autres sur l’axe du tps.

Elles appellent à une écoute horizontale, c’est-à-dire à entendre individuellement plusieurs voix séparées, plutôt que leurs effets combinés verticalement :

 

• Il n’y a pas l’idée d’une mélodie principale et de son accompagnement : toutes les parties sont potentiellement égales et présentent une grande variété rythmique

• De même, l’idée de forme séquençable est relativement floue : puisque lorsqu’une partie cesse, une autre poursuit, empêchant ainsi le partage en sections.

• Enfin, l’idée de tonalité au sens vertical du terme — suite d’enchaînements d’accords qui n’appartiennent pas forcément à la même échelle (si modulation) — n’est pas encore claire : on est encore globalement dans une pensée modale, ou éventuellement dans la superposition de modes différents, mais pas dans des enchaînements de structures harmoniques. 

 

2. L’idée d'une pensée verticale ds la composition, pour produire des structures harmoniques (sous forme de successions d’accords), émerge véritablement au début du XVIIè siècle, entre la période baroque (fin XVIè-mi XVIIIè) et le pré-classicisme.

 

 

Donc « polyphonie » est un terme dont le champ de signification est très large.

 

Dans le domaine des musiques de trad. orale, nécessité conséquente d’identifier des sous-genres :

 

Il apparaît donc pertinent de distinguer deux dimensions de la polyphonie :

- L’axe horizontal = l’axe du déroulement temporel : la façon dont chaque partie se positionne temporellement l’une par rapport à l’autre.

- L’axe vertical = l’axe des superpositions, de la simultanéité.

Cette perspective, qui n’est pas développée précisément dans un article récemment publié sur les procédés polyphoniques (cf. article distribué) permet notamment d’aborder ces procédés du point de vue des principes qui sous-tendent leur genèse.

Elle permet à mon sens de dépasser la simple caractérisation typologique pour comprendre, en termes émiques, comment est conçue la polyphonie : quelle intention la motive et la génère ?

Cf. Faire de la musique ensemble relève de différents modes d’ « être ensemble », qui ne sont pas dépourvus de signification d’un point de vue strictement social.

 

= Problématique qui me mène donc à une classification moins catégorique des genres polyphonies répertoriés dans le monde que celle proposée par l’article, dont la visée est avant tout typologique (établir des « types »). 

 

 

Ière PARTIE — Sur l’axe horizontal :

 

Je vais commencer par un exemple d’agencement des parties qui ne relève pas de la polyphonie a priori, mais qui semble cependant souvent l’engendrer :

= ce qui permet un PETIT RAPPEL :

 

• = mode d’agencement des parties extrêmement répandu dans le monde entier :

que ce soit dans le cadre de formations vocales, instrumentales, ou voco-instr. :

 

1/ Ex. musical : chant des femmes peules jelgoobe du Burkina Faso :

calebasse hémisphérique tenue à hauteur de poitrine et frappée avec doigts bagués.

+ bracelets entrechoqués.

= Chant votif pour la venue de la pluie.

 

= responsorial soliste / choeur, avec reprise à l’identique.

Cf. Ici, la partie répondante reprend la partie exposante quasiment à l’identique (hormi qq variations) :

On entend donc le sens du terme « responsorial » comme un type de formation alternant soliste / chœur ou soliste/soliste.

 

antiphonal : choeur/chœur (alternance constituée de deux ensembles numériquement équilibrés).

R. Ces définitions ne font pas la distinction entre reprise ou répons : elle qualifie seulement la proportion des participants.

 

D’où, autre déf. possible, que l’on trouve parfois dans certains écrits (notamment chez S.Arom) :

-         responsorial = exposition A + répons B.

Répons ≠ reprise : le choeur complète ou répond différemment à la phrase du soliste.

-         antiphonal = exposition A + reprise A ou A’ :

Même segment musical repris intégralement, ou repris de façon quelque peu variée. (2 parties = structurellement identiques)

 

Flous ds la terminologie liés au fait que tous ces concepts ont d’abord servi à définir des formes précises de la musique classique occidentale (ici, la psalmodie religieuse).

Mais comme on l’a vu, la plupart de ces notions ont elles-mêmes subi des glissements de sens au cours de l’histoire, au fur et à mesure de l’évolution des formes musicales occidentales de tradition écrite.

D’où, souvent plusieurs niveaux de sens qui se superposent.

 

Les ethnomusicologues choisissent du coup le sens qui les intéresse en fonction de ce qu’ils souhaitent caractériser… 

 

 

Les procédés d’alternances responsoriale ou antiphonale sont récurrentes dans les musiques de tradition orale : certainement dû au fait qu’elles permettent un mode de participation collectif et un apprentissage aisé :

 

Cf. lorsqu’on ne connaît pas bien un chant, il suffit de se mettre dans l’un des deux chœurs, ou dans la partie chorale qui reprend ou qui répond (cf. le répons est souvent fixe = refrain > forme AB A’B A’’B etc.), pour apprendre le chant de l’intérieur, par la pratique avec les autres. 

 

D’où, procédé récurrent notamment dans les chants festifs : permet à tous d’apprendre in situ, et donc de participer.

 

Il s’agit d’un procédé d’alternance temporelle, où il n’y a, bien sûr,  pas de superposition. 

Mais comme je le disais, ce mode d’alternance favorise très souvent un premier procédé de superposition, induit presque très logiquement par une tendance des deux parties à se recouvrir à leurs extrémités :

= procédé de tuilage (cf. les tuiles d’un toit), qui engendre une superposition ponctuelle.

 

Parfois juste sur la fin de la partie qui expose et le début de la partie répondante : = tuilage très bref.

 

• Mais parfois aussi, le tuilage est systématisé, au point que les voix se recouvrent partiellement sur plus de leur moitié.

2/ Ex. musical : chant de lignage des Peuls Wodaabe du Niger :

 

-         Alternance responsoriale entre deux solistes, avec tuilage ponctuel,

-          Puis une phrase où ils se retrouvent en monophonie (unisson)

-   Puis alternance antiphonale (chœur / chœur) avec un recouvrement des voix plus important.

 

Principe de l’antiphonie ici = la voix répondante entonne sa partie dans les aigus, au moment où la voix exposante achève sa phrase par une descente dans les graves. Génère un recouvrement ou tuilage sur près de la moitié d’une phrase.

 

 

Il est donc possible que ces jeux d’alternance responsoriale ou antiphonale soient à l’origine d’un grand nombre de formes polyphoniques :

Cf. nb types de polyphonies engendrées par l’extension progressive de la partie tuilée, qui aboutit à l’exécution quasi-simultanée des 2 parties. 

 

 

• Un type particulier de superposition qui découle d’un tel jeu de décalage sur l’axe horizontal, temporel, donc d’une pensée horizontale :

Ce qu’on appelle l’imitation :

= Imitation d’une première ligne musicale par une ou plusieurs autres voix, selon un décalage rythmique plus ou moins systématique :

-         différent du tuilage, où le décalage rythmique peut être variable et où il n’y a pas forcément imitation.

-         Le procédé dit de canon est un type particulier d’imitation, qui se caractérise par un décalage rythmique systématique = procédé en musique classique de la fugue.

 

3/ Ex. musical :

Cf. voir l’animation de Marc Chemillier, à l’adresse web suivante :

http://www.crem-cnrs.fr/realisations_multimedia/index.php

dans CLÉS D’ÉCOUTE : cliquer sur « Les mélodies jumelles de la harpe ».

= Musiques des anciennes cours Bandia : Jeu de harpes

 

Cliquer tour à tour sur une voix (bleue en haut), puis l’autre (rouge en bas), puis les deux (cercle rouge et bleu à droite).

(R. Profitez-en aussi pour vous balader sur les différentes clés d’écoute du site).

 

=  Formules de harpes jouées en ostinato : = bref motif cyclique, qui constitue un soubassement mélodico-rythmique sur lequel se pose le chanteur.

 

Ici, formule construite sur 1 cycle de 10 tps :

Subdivisé de façon ternaire.

 

L’instrumentiste exécute une première partie aiguë d’une main,

et la reprise en canon transposée dans les graves de cette même partie de l’autre main :

Canon basé sur un décalage de 2 tps (cf. la partie grave commence avec 2 tps de retard).

 

Toutefois, si l’on y regarde de plus près, les deux mains ne jouent pas tout à fait la même partie,

car la partie grave est une transposition de la partie aigue dans le cadre d’une échelle pentatonique irrégulière (cf. harpe qui n’a que 5 cordes jouées à vide).

Echelle Si Réb Mib Fa Lab = triton + tierce mineure (la portée correspondant aux 5 cordes de la harpe).

 

à Mib du registre aigu (main droite) correspond donc Si dans le registre grave (main gauche) = Tierce majeure

à Fa du registre aigu correspond Réb = Tierce majeure

Mais à Lab du registre aigu correspond Mib = Quarte

 

Donc, la transposition ne peut être strictement parallèle : = transposition, non pas tonale, mais modale

D’où, quand la partie aigue fait une montée Mib Fa Lab (ton + tierce min) / la partie grave fait par exemple Si Réb Mib = ton + ton, etc.

 

= Outre ces contraintes liées à l’instrument et son échelle, l’intention est cependant clairement celle d’un canon :

 

À défaut d’une stricte identité mélodique, l’identité du dessin mélodique global est nettement visible, et aussi audible, lorsqu’on essaie d’écouter chaque voix indépendamment de l’autre.

Cf. Plus aisément perceptible lorsqu’une série de notes répétées ds les aigus sont reprises en écho ds les graves…

 

 

= procédé polyphonique qui relève ici de 3 principes  :

- quasi-parallélisme (non strict) entre graves / aigus : harmonisés à la tierce et quarte.

- procédé de canon (imitation avec décalage rythmique systématique)

- mélodie chantée sur ostinato de harpe

 

C’est donc l’intention d’imitation en canon qui génère ici le procédé de transposition des aigus dans les graves. En découle, du point de vue du résultat global, une mélodie chantée sur ostinato polyphonique (à deux voix), homorythmique (sur l’axe vertical, les deux voix effectuent le même rythme), par mouvements mélodiques divergents (i.e. non parallèles sur le plan du résultat).

Pour être précis, notons qu’il y a ici affirmation d’une voix principale (celle du chanteur), et non égalité des parties comme c’est le cas dans le “contrepoint”, au sens fort du terme.

Peut-être vaut-il donc mieux parler en ce cas de “rapport contrapuntique” entre voix chantée et ostinato ?

 

Il faut donc hiérarchiser les données :     - Procédés de base

                                                                  - Résultat global qui en découle.

Ainsi, les procédés polyphoniques se caractérisent rarement par un terme unique.

 

 

• Autre type de procédé de superposition qui découle aussi d’un décalage sur l’axe temporel, mais où s’adjoignent souvent aussi des variations mélodiques entre les parties :

l’hétérophonie.

 

Le principe est que tout le monde est supposé exécuter la même chose (discours musical sous-jacent conçu par les gens comme unique, ou au moins « équivalent »), mais chacun le réalise un peu différemment :

- rythmiquement (jamais une homorythmie parfaite)

- et/ou mélodiquement (par de petites variations mélodiques individuelles)

 

= cas fréquent dans les musiques où est développé un discours soliste, mais accompagné par un instrument : l’instrument joue la même partie, mais pas de façon strictement identique, avec de petites variations

cf. on a vu que ce cas est fréquent dans le monde arabo-musulman, où domine une esthétique monodique ou monophonique liée à la modalité et au dvp d’un discours soliste.

4/ Ex. musical : Syrie, invocation soufie (confrérie Qadiriyya) par l’ensemble Al-Kindi & Sheikh Habboush : hétérophonie entre le chant et la cithare qanun.

 

Ex. où le principe est appliqué à l’extrême :

5/ Ex. musical : Chant de lignage des Peuls Wodaabe du Niger :

 

Variations rythmiques (entre autres par décalages temporels : entrées successives tuilées, non régulières) + variations mélodiques.

Mais la partie musicale de chacun est jugée comme identique, ou au moins équivalente : les Peuls disent que « tout le monde fait la même chose, mais chacun avec ses propres phrases ».

 

Le résultat global est ici une forme contrapuntique (< contrepoint), mais qui découle d’un procédé d’hétérophonie.

 

Déf. courante de l’hétérophonie : « Exécution simultanée, mais quelque peu variée, d’une même référence mélodique, par deux ou plusieurs sources sonores (voix et/ou instr) ».

 

= déf. à mon avis problématique, car elle sous-entend l’existence d’une « référence unique » matérialisable :

or, dans le cas présent, les gens sont d’accords pour reconnaître une équivalence entre les phrases de chacun, mais lorsqu’on leur demande quelle est l’identité commune de ces phrases, i.e. quel est, finalement le modèle qui sous-tend la diversité de réalisation de ces phrases (cf. c’est quoi la phrase-type de leur chant ?), il s’avère que personne ne la réalise exactement de la même manière :

Comme ils disent, « tout le monde fait la même chose, mais chacun avec ses propres phrases ». 

= chacun a finalement de ces chants une image mentale qui lui est propre : à chacun sa propre version du chant… 

 

Pour chaque cas, un travail d’enquête approfondi est donc nécessaire pour comprendre quel est vraiment le modèle mental de référence à partir duquel chacun varie :

- s’agit-il d’une phrase unique faisant office de modèle concret, matérialisable, que l’on apprend à varier = simple épure (sorte de squelette que chacun enrichit à sa manière) ?

- ou plutôt de structures ou de règles que les gens ont assimilées (un peu à la façon d’une grille harmonico-rythmique de jazz), de façon souvent implicite, non formulée ?

= questions qui touchent au problème de la variation et de l’improvisation.

 

Mais peut-être faut-il du coup plutôt retenir la déf. que Pierre Boulez propose de l’hétérophonie :

« Superposition à une structure première de la même structure changée d’aspects » (cf. Boulez met ici l’accent sur l’idée qu’on ne pense plus un modèle musical concret, mais une « structure »).

 

Hétérophonie = catégorie que l’on pourrait dire intermédiaire entre la monophonie et un principe plurilinéaire, mais qu’il faut certainement penser en termes de continuum :

l’exemple du monde-arabo musulman relève en effet d’une conception plus proche de la monophonie ≠ l’exemple des Peuls Wodaabe systématise tellement le procédé d’hétérophonie que l’esthétique développée, du point de vue une fois encore du résultat, relève d’une polyphonie à part entière.

 

 

Indique quoi qu’il en soit une certaine indifférence à la recherche d’unisson parfait :

effet d’unité pas primordial, même si le discours musical tenu par chaque voix est considéré comme identique ou équivalent.

L’unisson parfait serait en fait ressenti comme un appauvrissement.

 

 

Cf. autre déf. de l’hétérophonie, qui tente de définir le type d’intention musicale à l’origine de cette forme :

 

- « l’hétérophonie est la coexistence de plusieurs émissions sonores semblables (je dirai plutôt : jugées comme équivalentes) qui ne cherchent pas à être ensemble, mais plutôt à affirmer leur individualité ». (Jean-Michel Beaudet)

On va se décaler et varier les uns par rapport aux autres pour se distinguer :

= logique plutôt individualiste : surtout, ne pas être ensemble…

 

- Mais peut procéder aussi d’une intention collective (≠ individualiste) : créer un halo, un effet de profusion sonore.

Cas de cet exemple musical des Peuls Wodaabe : l’intention esthétique est de chanter le plus lentement possible pour obtenir un effet de déferlement des voix, de cascade : donner le sentiment du nombre, à l’image de la vitalité du groupe.

Cf. les chanteurs ne sont ici que quatre !

 

Donc à étudier au cas par cas.

 

L’hétérophonie est en tout cas un procédé de superposition qui relève ici encore d’une conception plutôt linéaire, de type horizontal :

on se démarque légèrement par rapport à ce que vient de faire son voisin :

c’est donc dans le déroulement temporel que cela se négocie, de façon interactive.

 

Ce qui crée, du point de vue vertical, des effets polyphoniques sans cesse renouvelés (dans le cadre toutefois d’une même échelle = modal).

D’où, jamais deux interprétations identiques d’une même pièce :

chaque interprétation change en fonction de l’identité des individus mis en présence.

 

 

• Continuons avec les procédés qui relèvent d’une non-coïncidence sur l’axe temporel, avec ce qu’on appelle la mélodie sur ostinato.

Ostinato = bref motif mélodique et/ou rythmique, repris de façon cyclique = en boucle (variée ou non).

 

Parfois, c’est un seul ostinato qui soutient le développement d’une mélodie principale.

= base stable cyclique qui permet au soliste de développer des variations.

 

Mais parfois, l’ostinato est développé par plusieurs voix :

 

6/ Ex. musical : les Wagogo de Tanzanie

 

Grand idiophone à lamelles pincées : à 40 lames métalliques, sur caisse de résonance rectangulaire : dit ilimba = l’un des plus grands d’Afrique.

+ 2 vièles.

+ 1 hochet et le chant soliste.

 

Prélude non mesuré où le soliste énonce l’échelle pentatonique anhémitonique : La Sol Mi Ré Do (+ notes de passage « pyens » ds le chant)

 

Entrées successives : lamello (joue l’intro) / vièle grave, puis vièle aiguë.

 

Lamello : ostinato aigu + pédale basse (à la blanche) : jeu polyphonique en contrepoint (= joue deux parties différentes, mélodiquement et rythmiquement).

 

+ 2 vièles à deux cordes, accordées à la tierce : ostinato joué de façon homorythmique, mais harmonisé à la tierce.

 

Partie aiguë du lamellophone presque à l’unisson avec la vièle aiguë.

 

+ hochet qui donne la pulsation (cycle en 4 tps) : / noire noire croche croche croche demi-soupir /

 

Chant avec variation :   en levée par rapport à l’ostinato.

et phrases chantées de carrure variable.

 

Accélération du tempo à la fin. Et finale en voix de gorge : imite le timbre des vièles ?

 

= chant sur ostinato harmonisé (à la tierce), les parties de l’ostinato s’enlaçant en contrepoint.

Mais affirmation d’un chant principal : donc pas encore du contrepoint à proprement parler.

 

 

 

• 7/ Congo, enregistrement de 1952-57 (High Tracey) : société des Kanyok.

 

Partie instrumentale = superposition d’ostinati mélodiques et rythmiques non homorythmiques : = polyrythmie.

 

= principe de l’entrée décalée, non simultanée, qui permet à l’ensemble de se mettre en place sans décompte de mesure :

1.     2 xylophones : grave et aigu, qui tressent un contrepoint

2.     Tambour qui joue un ostinato

3.     Tambour qui donne la pulse.

4.     3ème tambour en contrepoint rythmique par rapport au 1er

5.     Tambour soliste qui varie

7. Chanteur soliste (pfs à la limite du parler-chanter)

 

Ici encore, affirmation d’un chanteur soliste (d’une voix principale).

= chant sur ostinati mélodiques et rythmiques en contrepoint

(mouvements mélodiques et rythmiques divergents = véritable imbrication, entrelacement des parties).

 

R. L’article distribué définit la polyrythmie comme relevant « d’instruments qui ne procèdent pas d’une quelconque organisation scalaire ». Ceci dit, le critère de la mélodie des timbres (donnés par les différents types de frappe sur les tambours) n’est pas négligeable. Ici, instruments mélodiques et rythmiques se mêlent d’ailleurs pour former une polyrythmie non dépourvue de jeu sur les hauteurs…

 

• Autre forme d’imbrication de parties différentes, mais où domine quand même une voix principale :

= le contre-chant (vocal ou instr.)

8/ Ex. musical : Madagascar, pays Antandroy

Chant funéraire

Sorte de longue ballade, avec passages en parlando, exécutée par des chanteurs professionnels (mpibeko), spécialisés ds le genre de la veillée funéraire (beko).

Retracent la vie et la généalogie du défunt. Pièces qui peuvent durer des heures.

 

Un chanteur soliste, accompagné ici par un chœur (formé de deux voix) qui exécute un contre-chant quasiment à l’unisson :

mouvements mélodiques divergents (non parallèles), qui ne coïncident pas toujours rythmiquement avec ce que fait le chanteur soliste (= non homorythmique).

 

Le chœur construit en fait une ligne harmonique dans les graves, sur laquelle vient se poser le soliste, mais cette ligne s’affirme le plus souvent en « contrepoint » du chant principal, comme une sorte de jeu de répons continu qui relance le chanteur soliste.

Nous sommes donc là encore dans une pensée plutôt horizontale, au sens où les deux parties s’inter-ajustent in situ, au fil du déroulement temporel, le chanteur développant sa partie en fonction de la base donnée par le chœur, cette base étant elle-même susceptible de variations et d’ajustements rythmiques en situation.

 

Cf. Pas de carrure rythmique préétablie (extensible en fonction du texte),

mais le parcours harmonique du chœur est néanmoins cyclique, avec variations.

 

Variations du soliste sur la même échelle (heptatonique diatonique. Cf. 2 demi-tons). Mouvement globalement descendant.

 

Se retrouvent en parlando sur la fondamentale : mais le soliste intervient en levée quand ses accompagnateurs achèvent leur cycle (sur le sol).

 

 = improvisation sur un contre-chant donné par 2 chanteurs.

Cf. L’affirmation d’un chant principal est ici sous-entendue par le terme même de contre-chant. Il n’y a donc pas égalité des parties : donc pas de contrepoint à proprement parler.

 

 

• On monte encore d’un cran dans le contrepoint :

9/ Ex. musical : Pygmées Aka de Centrafrique, chant funéraire :

Chant de déploration autour du défunt.

 

Trois registres : basse grave (des hommes), médian et aigu (des hommes et femmes).

 

Totalement cyclique (8 tps ?) :

période métrique toujours identique, mais les chanteurs tuilent progressivement les points de reprises, si bien que le cycle se trouve estompé pour donner l’impression d’un relais ininterrompu, sans début ni fin.

= forme de contrepoint par extension du principe de tuilage.

 

D’après S. Arom, chaque personne dispose pour chaque pièce d’un stock de formules variées, forgées à partir d’un modèle : = phrase entonnée par le premier chanteur, et qui caractérise le chant (sorte de cantus firmus comme dans l’Ars nova du Moyen Age occidental).

 

Les différents chanteurs vont donc exécuter leurs variantes dans l’un des 3 registres de voix qui leur convient :

puis ils écoutent simultanément ce que fait chacun pour s’émanciper en enrichissant progressivement leur jeu de variations :

par transpositions, permutations (= échanger), commutations (= substituer, et non pas échanger), décalages rythmiques, etc…

 

= le chant se construit ainsi et se complexifie au fur et à mesure, selon un principe d’interaction entre participants, qui se joue ici aussi en situation.

Donc jamais deux fois la même exécution… 

 

D’après Arom, les Pygmées ne supportent pas l’unisson :

dès que leur voix fusionne avec quelqu’un par coïncidence, ils s’en éloignent par l’introduction d’une nouvelle variante.

 

Mais il y aurait tjs des points de jonction à l’intérieur de la période :

quinte, octave, qui permettent ensuite un acheminement vers des dissonances passagères.

 

= Véritable contrepoint : au sens de « totale égalité entre les parties » (pas de mélodie principale).

 

R1. Ce n’est pas un canon, puisque personne ne chante exactement la même chose et que le décalage entre les voix n’est pas tjs identique, systématique : l’intention est bien ici de varier à partir d’un même modèle, pour créer un ensemble dense, et non d’imiter.

 

R2. On pourrait parler ici d’hétérophonie, comme je l’ai fait pour les Peuls, puisque les variations sont forgées sur un même modèle, et que la référence mentale de chacun semble être ici la même.

La question est donc : les Pygmées considèrent-ils qu’ils chantent des parties différentes, ou qu’ils chantent différemment des parties qu’ils jugent équivalentes ?

Autrement dit, l’intention qui domine est-elle, à partir de variations d’un même modèle, de créer un entrelacement si dense qu’il engendre un effet contrapuntique très marqué, ou au contraire de faire entendre de façon légèrement différente, individualisée, un même discours musical ?

 

Seul indice pour répondre à cette question : le fait que les Pygmées attribuent des appellations distinctes aux parties qu’ils chantent…

 

Quoi qu’il en soit, et comme dans le cas des Wodaabe, le résultat esthétique qui l’emporte ici n’est pas l’hétérophonie, au sens d’un cheminement unique légèrement étoffé de variations :

c’est bel et bien le contrepoint qui domine du point de vue du résultat.

 

Hétérophonie, et contrepoint forgé à partir de variations d’un même modèle musical, sont donc peut-être à envisager sur le plan formel comme un continuum, l’un pouvant générer l’autre et réciproquement,

la différence se situant finalement au niveau de l’intention esthétique poursuivie par les gens :

à savoir, un discours unique étoffé d’effets polyphoniques ou un écheveau dense de voix considérées comme ayant une identité propre, autonome ?

 

Dans ce type d’ensemble, il faut donc avant tout s’interroger sur la façon dont sont nommées localement les parties vocales ou instrumentales : i.e. ont-elles des appellations distinctes ou les gens considèrent-ils qu’ils font sensiblement la même chose ?

 

 

10/ Ex. musical : Les Dorzé d’Éthiopie

Chanté par les hommes lors du passage de certains au rang de dignitaires.

= Rite de passage.

 

Ici, on monte encore d’un cran dans le contrepoint :

Six parties qui chantent chacune une période musicale très courte, présentée comme différente, mélodiquement et rythmiquement (d’après la description qui en est donnée dans la notice du CD, il ne s’agirait pas de variations d’un même modèle) :

-un chœur qui chante le texte principal

-plusieurs solistes différents, qui font des répons variées au chœur, et l’enlacent progressivement jusqu’à créer un tressage de voix très dense.

-et des “voix libres”, ad lib, qui se surimposent aux autres en improvisant in situ, en interaction avec les différents solistes.

+ frappements de mains.

 

= Cycle de 6 tps. + Accelerando

 

Le tout s’imbrique en créant une véritable mosaïque sonore où on ne perçoit pas réellement de discours principal

= entrelacement de voix qui jouent toutes un rôle égal, et s’affirment ds leur interdépendance

= elles se positionnent les unes par rapport aux autres sur l’axe temporel,

d’abord de façon plutôt responsoriale, puis en se tuilant de plus en plus, de sorte que la notion même du cycle initial finit ici encore par être estompée (on ne sait plus où sont le début et la fin du cycle).

 

= Polyphonie en contrepoint, par excellence.

 

 

• Le contrepoint peut bien sûr être également instrumental :

11/ Ex. musical : consulter le site web du gamelan mécanique de Kathy Basset : Java et Bali :

http://www.cite-musique.fr/gamelan/

en cliquant sur les rosaces, vous avez accès à différents types de transcription (circulaires et en colonne). Vous pouvez cliquer sur les instruments pour les supprimer un à un et entendre ce que joue chaque partie.

(R. Pour consulter le site, il peut être nécessaire de télécharger « shockwave »).

 

Chaque catégorie d’instruments au sein d’un gamelan est destinée à une fonction immuable :

soit mélodique (claviers en métal), soit de soutien rythmique (tambours), soit de ponctuation (dite colotomie des gongs).

 

3 types de clavier :

Les claviers en général en métal (métallophones), de tessiture médium, jouent la mélodie directrice (à la noire), sorte de cantus firmus,

tandis que les claviers de tessiture aigue donnent les ornements en contrepoint rapide (croches et doubles-croches),

et les basses frappent les degrés principaux de la mélodie (à la blanche ou la ronde).

 

+ Gongs isolés, suspendus sur portique ou couchés, déterminent la structure du morceau en ponctuant les cycles qui la composent : début du cycle, quart, demie, 3/4) : ex. tous les 8 temps, etc.

 

= principe systématique de subdivision binaire, avec un jeu plus ou moins syncopé selon les genres musicaux.

 

= procédé d’imbrication des parties, sur le plan aussi bien mélodique que rythmique, qui forme une polyphonie en contrepoint (ou contrapuntique).

 

R. Dans l’article distribué, les polyphonies instrumentales balinaises sont considérées comme de l’hétérophonie,

dans la mesure où variations, ornementations et monnayages rythmiques  (= densification rythmique par subdivision) renvoient à une référence musicale unique, sorte de cantus firmus joué dans le registre médian (= chant principal sous-jacent à toutes les parties).

Mais comme dans l’exemple ci-dessus des Pygmées Aka, chaque partie est, à Bali, identifiée par une appellation distincte.

Et je ne crois pas que les Balinais considèrent que ces parties soient semblables.

 

Il y aurait donc une étude plus fine à mener sur l’intention esthétique qui les anime et sur la façon dont ils pensent leur musique. 

Quoi qu’il en soit, le résultat sonore évoque plus du contrepoint que de l’hétérophonie.

 

C’est dire à quel point ces catégories terminologiques ne sont que des outils de départ pour tenter de décrire plus avant un procédé musical. Vouloir figer un procédé sous une appellation unique semble relever d’une conception bien restrictive de la musique…

 

 

 

• Le contrepoint est parfois associé à la technique de hoquet :

contrepoint en hoquet : distribution d’une mélodie entre différentes parties, chacune n’exécutant qu’une seule hauteur.

Cf. Principe sous-jacent = Mélodie unique, distribuée entre les participants.

 

Procédé fréquent lorsqu’on a affaire à des ensembles instrumentaux dont chacun ne peut produire qu’une seule hauteur.

 

Ex. orchestres de trompes ou de flûtes : tuyaux de longueurs différentes, chacun ne produisant qu’une seule hauteur, différente des autres.

Un instrument par personne.

 

Mais procédé qui peut aussi être reproduit à la voix.

 

Comme chaque participant exécute le plus souvent un bref motif rythmique, qu’il reprend de façon cyclique, l’ensemble des motifs joués par les participants va finalement produire un entrelacement, qui forme contrepoint.

 

En ce sens, le hoquet est donc un procédé susceptible de générer du contrepoint. Ce qui en fait une catégorie parmi d’autres de contrepoint, dite « contrepoint selon le procédé de hoquet », et non une catégorie en soi, comme proposé dans l’article distribué.

 

D’ailleurs, le hoquet, en soi, ne génère pas toujours d’effets polyphoniques :

il peut tout à fait demeurer monodique, sous la forme d’une simple succession de hauteurs réparties entre plusieurs personnes.

 

12 et 13/ Ex. musicaux : Banda Linda de Centrafrique (version instrumentale et reprise de la même pièce à la voix).

 

 

 

IIè partie — Procédés de superposition où des parties différentes s’agencent les unes par rapport aux autres, non plus sur un axe horizontal, temporel,

mais de façon plutôt verticale (axe de la simultanéité) :

= procédés polyphoniques qui privilégient une pensée avant tout verticale, harmonique. 

 

 

• La mélodie sur bourdon

bourdon = ligne tenue, recto-tono (sur une seule hauteur)

 

Différents types de bourdon :

continus ou discontinus, entrecoupés de silences réguliers, ou sporadiques (non réguliers), pfs aussi étagés… 

 

 

14/ Ex. musical : Albanie

2 voix solistes qui alternent sur un bourdon tenu par un chœur masculin.

 

= Aire culturelle où le bourdon découle sûrement de ce qu’on appelait à l’époque byzantine « l’ison » (cf. l’ison existe tjs ds les chants liturgiques de l’église orthodoxe et dans de nombreuses musiques populaires d’Asie Centrale).

 

Il fait office de référence harmonique pour les chanteurs solistes (puisque souvent joué sur la fondamentale).

 

On peut parler ici de forme élémentaire d’étagement sur l’axe vertical,

dans la mesure où la voix principale ne s’élabore pas par rapport à l’axe temporel (volonté de se positionner en situation par rapport à une autre voix), mais pense plutôt ici les intervalles harmoniques qui découlent du rapport entre cette note tenue et le cheminement varié qu’elle développe. 

 

 

• Autre procédé de superposition qui privilégie une harmonisation verticale des voix :

la polyphonie par mouvements parallèles = implique une homorythmie des parties :

toutes font le même rythme, mais les voix sont étagées selon un intervalle constant :

le plus souvent de tierce, quarte, ou quinte.

 

On privilégie donc la coïncidence rythmique pour faire entendre, sur l’axe vertical, l’étagement des voix.

 

R. la catégorie d’homorythmie de l’article est là aussi contestable,

car l’homorythmie pourrait tout aussi bien désigner un orchestre de percussions jouant à l’unisson (ex. tambours royaux du Burundi) : 

l’homorythmie n’est donc pas un procédé polyphonique en soi, mais bien plutôt une caractéristique rythmique des procédés polyphoniques qui privilégient une pensée verticale.

 

Mieux vaut donc parler plus précisément de polyphonie par mouvements parallèles ou divergents, l’homorythmie étant finalement induite par ces 2 termes :

-         si pas d’homorythmie, pas de parallélisme possible (comme le montrait bien le cas étudié de canon, où le décalage rythmique supprime le principe de parallélisme entretenu entre les deux voix),

-         quant aux mouvements divergents, mais non homorythmiques, ils relèvent du « contrepoint » !

 

Ainsi, l’homorythmie implique le plus souvent une plus grande fixité de la forme musicale. Il s’avère en effet relativement impossible de jouer à l’unisson rythmique sans que la forme musicale ne soit déjà pré-établie. 

Jouer avec l’autre, que ce soit de façon variée à partir d’une base commune, ou mieux, de façon strictement improvisée, revient donc toujours à privilégier l’entrelacement rythmique (ou « cross-rhythms », comme disent les anglo-saxons).

Sans doute est-ce qui explique que l’émergence d’une pensée verticale en Occident se soit soldée par l’éviction de toute forme d’improvisation,

tandis même que la plupart des aires musicales où dominent les principes de variation et d’improvisation n’ont pu pour leur part développer de formes harmoniques verticales complexes.

 

La fixité des formes serait donc une caractéristique fondamentale d’une pensée musicale strictement verticale.

 

 

15/ Ex. musical : Baoulés de Côte d’Ivoire

Exercice : identifier l’intervalle entre les voix.

 

Chant antiphonal : choeur de femmes, alternant avec duo de deux fillettes. Reprise à l’identique (et non pas un répons).

 

+ Soliste qui fait des variations ds le choeur de femmes.

+ Râcleur (bâtonnet denté).

 

= Polyphonie par mvts parallèles – à la tierce mineure - (pour les 2 chœurs).

 

 

• Dernier procédé : polyphonie par mvts divergents (obliques ou contraires ≠ jamais uniquement parallèles) :

Procédé qui implique donc l’homorythmie.

 

• 16/ Ex. musical : Itcha (sous-groupe yoruba) du Bénin).

Musique de rituel.

Cf. se référer à la partoch de cette pièce déjà distribuée pour le cours sur les rythmes non mesurés.

 

Partie chorale du chant (2ème partie, à 1’56) = polyphonie à deux voix, par mvts divergents (sur le plan mélodique), avec homorythmie : 

contrairement à l’exemple précédent, la voix principale et les voix graves qui la soutiennent suivent des cheminements mélodiques différents, mais suivant un même rythme. 

 

Le fait même que les mouvements soient divergents (cf. intervalles de tierces, quartes, quintes, sixtes, octaves) révèle qu’il y a ici une recherche de combinaisons harmoniques successives différentes :

Donc une pensée à l’évidence verticale, étagée, au détriment de l’axe horizontal, et du coup, de la complexité rythmique.

 

 

On est cependant ici dans une pensée modale (≠ tonale) :

En mode heptatonique de Do : Do Ré Mi Fa Sol La Si Do

Pas de modulation en vertu de règles verticales de tonalité, qui induiraient des altérations ponctuelles ou des changements de mode.  

On reste d’un bout à l’autre dans la même échelle.

 

À noter qu’il s’agit bien d’une forme fixe, pré-établie (sans quoi, les chanteurs ne pourraient chanter ainsi sur le même rythme, et ne pourraient s’harmoniser que de façon ponctuelle, sur des notes tenues, non de façon durable, d’un bout à l’autre de la pièce, comme c’est le cas ici).

 

 

Avec ce type de procédés polyphoniques verticaux, nous sommes finalement en présence d’une esthétique qui révèle un autre mode d’être ensemble, où l’on se coule dans une même respiration.

La différenciation des parcours n’est pas individualisée au même degré que dans le contrepoint (homorythmie oblige), dans la mesure où il ne s’agit pas de chercher à se distinguer des autres, d’émerger à titre individuel. Les différences de parcours doivent au contraire ici se combiner et se compléter de sorte à donner l’impression de n’émettre qu’une seule voix, riche sur le plan harmonique.

 

 

 

• 17/ Ex. musical : Polyphonie de Sardaigne (Italie).

 

Voir aussi l’animation de Bernard Lortat-Jacob : La quintina, à l’adresse suivante, dans clés d’écoute :

http://www.crem-cnrs.fr/realisations_multimedia/index.php

Aller dans « écoute et transcription », faire jouer la musique, puis cliquer dans la clé de sol du haut pour entendre la quintina seule ou avec le chœur.

Lorsque vous êtes sur play, vous pouvez également cliquer sur le volet du sonagramme à droite, et gommer la quintina pour entendre la différence, avec ou sans.

 

Polyphonie d’accords à 4 voix : chœurs de la Semaine Sainte.

strictement homorythmiques (sauf sur les débuts où la voix grave lead anticipe).

 

= 4 registres de voix :

du grave à l’aigu : bassu, contra, bogi et falzittu. 

Les règles tonales ne sont pas forcément académiques par rapport à la tradition écrite occidentale,

mais on n’est plus ici dans une pensée modale, au sein de laquelle les rapports harmoniques resteraient dans le cadre d’une même échelle. 

Ici, pas une seule échelle : cela module clairement selon des règles harmoniques tonales, donc verticales. 

 

En outre, les chanteurs s’accordent de sorte que leurs harmoniques se combinent et se renforcent les uns les autres pour produire une voix fusionnelle : une octave au-dessus de la voix bogi.

= Voix virtuelle, qui n’est chantée par personne, née de la fusion des harmoniques.  Mais étrangement, elle se comporte comme un son fondamental, puisqu’elle génère ses propres harmoniques !

 

Cette voix est perçue par les chanteurs comme la voix de la Madonne : la vierge.

Influence évidente de la liturgie chrétienne.

 

= esthétique qui joue principalement sur les différentes couleurs harmoniques des accords.

Pour ce type de polyphonies à plusieurs voix, certains parlent d’ailleurs plus simplement de “polyphonie harmonique” ou de “polyphonie d’accords”.

(L’article propose le terme d’homophonie, mais ambigu, car ds certains écrits, le terme est parfois confondu avec la monophonie).

 

Dans le cas présent, la polyphonie a même une dimension véritablement spectrale (cf. jeu dur les composantes harmoniques du spectre sonore).

 

Procédé peu répandu en Afrique :

= très répandu dans les musiques de tradition orale de l’Europe méditerranéenne = influence de l’aire culturelle chrétienne

(cf. chants corses, sardes, géorgiens, albanais, etc.…)

 

Au point que lorsqu’on le rencontre en Afrique, on peut se demander s’il n’y a pas eu influence des chants d’Église : cf. régions christianisées de la côte africaine.

Par exemple très net dans les polyphonies zulu d’Afrique du Sud.

 

 

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Un mot de conclusion sur la dimension artificielle des catégories :

 

- elles ont une réalité en tant que catégories intellectuelles (c’est dans la nature de l’être humain d’ordonner de façon typologique et de classer ce qui l’entoure : cf. dans le cas des polyphonies, ces catégories nous viennent directement de la musicologie occidentale).

 

 

- Mais ont-elles une réalité substantielle ?

Au sens : s’agit-il de catégories universelles pré-existant dans l’esprit humain lorsqu’il crée des procédés polyphoniques ?

Ou seulement de catégories scientifiques établies a posteriori pour caractériser les procédés musicaux ?

 

L’article ne soulève pas cette question,

mais la façon même dont il pose les données (en prenant des exemples de procédés polyphoniques du monde entier, et en cherchant à les classer sans s’interroger sur leur genèse) indique que l’on est dans un courant de pensée qui se réclame de la linguistique structurale,

et qui cherche donc à établir quels sont les universaux de la musique.

 

On retrouve donc ici, une fois encore, la question des universaux posée par le structuralisme.

 

On peut en effet (ce que j’ai plus ou moins essayé de faire avec le peu d’infos dont on dispose) envisager ces catégories sous un tout autre angle :

 

sous l’angle de leur genèse :

 

Comment dans une société donnée un procédé musical — en l’occurrence polyphonique — en génère-t-il progressivement un autre ?

Et comment, au gré des contacts entre société, passe-t-on des formes les plus hétérogènes à des formes se modelant les unes les autres pour se stabiliser ponctuellement, avant de diverger de nouveau ?

 

Approche qui prend en compte la variation continue : le continuum des catégories entre elles, dans le temps comme dans l’espace, au gré des contacts humains (= procédés évolutifs ds le tps, et qui peuvent aussi se diffuser d’une population à l’autre par contact…) :

 

Il n’y aurait donc, selon cette approche, que des cas particuliers, que l’on peut éventuellement classer dans l’une ou l’autre catégorie a posteriori… 

= revient à aborder les choses sous l’angle de leur existence historique et dynamique, et donc, non définie par avance,

 

≠ et non pas d’un point de vue essentialiste, qui pose la notion de catégorie comme une sorte de moule préalable, comme un ensemble clos qui serait censé préexister à toute création polyphonique.

 

= question qui traverse la totalité des sciences, y compris les sciences dures, dites « exactes » :

 

pour réflexion, texte à lire qui pose en termes différents la même problématique, mais dans le cadre de la biologie.

 

 

Extrait de Jean-Jacques Kupiec & Pierre Sonigo, Ni Dieu, ni gène. Pour une autre théorie de l’hérédité, éd. du seuil, coll. Points Sciences, Paris, 2000, pp. 45-57.

 

Cf. ci-dessous :

 

 

 

« Darwin a fait ce que Buffon, Lamarck ou aucun autre de ses précurseurs n’avaient fait. Il a rejeté sans ambiguïté la notion de spécificité au profit de la variation, érigée en propriété première des êtres vivants. C’est ce qui lui a permis d’élaborer la théorie de la sélection naturelle. Dès les premières lignes du premier chapitre de L’origine des espèces

(« Quand on compare les individus appartenant à la même variété, ou à la même sous-variété de nos plantes cultivées depuis le plus longtemps, et de nos animaux domestiques les plus anciens… » ),

Darwin porte son attention sur les individus, qu’il va comparer pour mettre en évidence leurs variations infinies. Pour lui, la seule réalité se situe à ce niveau. Dans les lignes qui suivent, il analyse les causes de cette variabilité.

Lorsque Darwin a produit sa théorie, les lois de l’hérédité et de la reproduction étaient encore très peu connues. Pour expliquer les variations individuelles, il fait appel à plusieurs mécanismes. L’influence directe du milieu par l’usage ou le non-usage des organes, comme Lamarck, mais également ce qu’il nomme la variabilité indéfinie ou flottante, c’est-à-dire aléatoire. Celle-ci préfigure, d’une certaine manière, ce qu’on appelle aujourd’hui une mutation. Darwin privilégie cette variabilité indéfinie, dont le résultat est la production de différences individuelles. Il met donc d’emblée l’accent sur la fragilité de la notion d’espèce. Celle-ci n’a pas reçu de définition satisfaisante mais on utilise malgré tout ce concept par commodité, sans en connaître le sens précis.

« Je ne discuterai pas non plus ici les différentes définitions que l’on a données du terme espèce. Aucune de ces définitions n’a complètement satisfait tous les naturalistes, et cependant chacun d’eux sait vaguement ce qu’il veut dire quand il parle d’une espèce. »

On le verra plus loin, son analyse le conduira à proposer une définition nouvelle de l’espèce, fondée sur la généalogie et la variation. Buffon parlait encore de prototype général sur lequel chaque individu est modelé et, pour Lamarck, il existait de grands types correspondant aux grandes classes de l’échelle des êtres. Chez Darwin, l’attention apportée aux différences conduit à reconnaître qu’il n’existe pas de parangon[1] correspondant à des caractères importants qui ne varieraient jamais.

« On peut donner le nom de différences individuelles aux différences nombreuses et légères qui se présentent chez les descendants des mêmes parents (…). Nul ne peut supposer que tous les individus de la même espèce soient coulés dans le même moule (…). Il est bon de se rappeler que les naturalistes à système aiment fort peu à admettre que les caractères importants peuvent varier. (…) Les auteurs tournent souvent dans un cercle vicieux, quand ils soutiennent que les organes importants ne varient jamais ; ces mêmes auteurs, en effet, et il faut dire que quelques uns l’ont franchement admis, ne considèrent comme importants que les organes qui ne varient pas. Il va sans dire que, si l’on raisonne ainsi, on ne pourra jamais citer d’exemples de la variation d’un organe important ; mais, si l’on se place à tout autre point de vue, on pourra certainement citer de nombreux exemples de ces variations. »

Dans ces dernières lignes, Darwin évoque deux points de vue théoriques opposés. Il y a, d’une part, l’opinion fixiste traditionnelle, qui, nous l’avons vu, relève de la tradition réaliste du Moyen-Âge, et, d’autre part, l’optique évolutionniste qui pointe les variations individuelles au détriment des espèces.

Notons au passage que c’est aussi ce que l’on appelle aujourd’hui un programme génétique qui est ici, à l’avance, remis en question. En effet, le programme génétique correspond à la notion de moule, héritée des conceptions ontogénétiques de Buffon et d’Aristote, supposée définir un plan d’organisation caractéristique de l’espèce ; et que reste-t-il de cette notion s’il y a autant de programmes que d’individus ? si tous les caractères et les organes peuvent varier ? Darwin nous dit ici qu’il n’existe pas deux individus coulés dans le même moule. C’est justement ce que n’arrivait pas à penser Buffon et ce sur quoi il a buté. Si l’on pousse jusqu’au bout la logique des ces lignes, on doit rompre avec les théories ontogénétiques reposant sur un principe donné a priori (moule, programme).

Continuant son analyse, Darwin en vient à étudier les espèces douteuses. Ce sont les cas où il est difficile de dire si l’on a affaire à une variété ou à une espèce véritable. Il en arrive à cette conclusion :

« On comprendra, d’après ces remarques, que, selon moi, on a, dans un but de commodité, appliqué arbitrairement le terme espèce à certains individus qui se ressemblent de très près, et que ce terme ne diffère pas essentiellement du terme variété, donné à des formes moins distinctes et plus variables. Il faut ajouter, d’ailleurs, que le terme variété, comparativement à de simples différences individuelles, est aussi appliqué arbitrairement dans un but de commodité. »

Finalement, la notion de spécificité est inquantifiable. (…)

La classification a cependant bien une signification.  Mais ce qu’elle reflète n’est pas l’expression statique de la création et du dessein divin. Ce qu’elle reflète, c’est le lien généalogique de tous les êtres vivants, donc l’évolution. L’espèce est pour Darwin un ensemble d’individus qui ont un ancêtre commun, sans référence à une identité de structure. La descendance s’accompagnant toujours de modifications, la ressemblance plus ou moins forte de deux individus est une conséquence d’un lien de parenté plus ou moins fort.

« Toutes les règles, toutes les difficultés, tous les moyens de classification qui précèdent, s’expliquent, à moins que je ne me trompe étrangement, en admettant que le système naturel a pour base la descendance avec modifications, et que les caractères regardés par les naturalistes comme indiquant des affinités réelles entre deux ou plusieurs espèces sont ceux qu’elles doivent par hérédité à un parent commun. Toute classification vraie est donc généalogique ; la communauté de descendance est le lien caché que les naturalistes ont, sans en avoir conscience, toujours recherché, sous prétexte de découvrir soit quelque plan inconnu de création, soit d’énoncer des propositions générales, ou de réunir des choses semblables et de séparer des choses différentes. »

Cette définition est reprise au chapitre final.

« Le système naturel est un arrangement généalogique, où les degrés de différence sont désignés par les termes variétés, espèces, genres, familles, etc. »

Il est important d’en bien mesurer le contenu. Répétant en biologie ce qu’Ockham avait fait cinq siècles auparavant pour la métaphysique, Darwin abandonne les entités idéales qui hantaient ses précurseurs, pour regarder les individus réels. Cette définition ne traduit plus une propriété immuable des espèces, telle que la possession d’une structure caractéristique (différence spécifique), (…) mais le mécanisme de l’évolution lui-même, c’est-à-dire la variation qui est à sa base. (…) L’espèce n’est pas une entité statique. Il s’agit d’un processus. Par cet abandon de la spécificité, Darwin a ouvert la possibilité d’une théorie biologique nouvelle, en rupture avec la métaphysique d’Aristote. (…)

La théorie de Darwin a connu un immense succès et a souffert d’un immense malentendu dans le “grand public”. La publication de l’origine des espèces a beaucoup moins propagé la théorie de la sélection naturelle, et encore moins l’arrière-fond théorique qui la soutient, que la thèse générale de l’évolution. (…)

La définition de l’espèce est la partie la plus mal comprise du darwinisme. Elle fut immédiatement refoulée, à peine avait-elle été formulée (…).

Avant même la fin du XIXè siècle, l’avènement de la génétique marqua un retour massif du réalisme de l’espèce. (…)

Ce retour au réalisme de l’espèce fut avant tout une décision métaphysique, et non une découverte expérimentale. À quoi pouvait nous servir une définition de groupes qui restent indéterminés dans la majorité des cas ?

 

 



[1]Parangon : modèle (Petit Robert).

Les procédés de superposition dans les musiques de tradition orale

Sandrine Loncke, 2009

 

 

Lire l’article sur les polyphonies :

 

FERNANDO Nathalie et al. : « Typologie des techniques polyphoniques », in Jean-Jacques Nattiez, dir. : Musiques. Une encyclopédie pour le XXIe siècle. Vol. V, Arles/Paris : Actes Sud/Cité de la Musique : 1088-1109, 2007.

 

 

Le but de ce cours est d’approfondir la question en l’illustrant d’exemples musicaux, et ce faisant, de tenter de confronter la typologie proposée par l’article à la complexité des formes musicales que l’on trouve sur le terrain.

 

Introduction

 

Il s’agit de se demander, lorsqu’on est en présence, dans une musique, de superposition de parties différentes (vocales et/ou instrumentales), quel est le procédé qui sous-tend leur agencement.

 

Donc de voir les différentes catégories (vocabulaire descriptif de base = terminologie) qui permettent de caractériser les procédés de superposition représentés dans les musiques de tradition orale, dans le but d’une écoute analytique.

 

En s’appuyant sur différents exemples musicaux, pour la plupart empruntés à l’Afrique subsaharienne :

 

- pour la bonne raison qu’on y trouve représentés quasiment tous les types de procédés polyphoniques

(cf. l’Afrique est riche sur le plan rythmique, mais on oublie souvent qu’elle l’est également sur le plan des procédés polyphoniques),

 

- parce que leur comparaison permet un éclairage particulier sur la genèse de ces procédés (quelle pensée les sous-tend : horizontale ou verticale ?) :

= éclairage différent de celui qu’apporte la connaissance des procédés polyphoniques occidentaux

 

- parce que je ne me sens pas capable de vous dresser un tableau représentatif des procédés polyphoniques que l’on trouve par exemple en Asie (mais à ma connaissance, tous les types n’y sont pas représentés), en Europe ou en Amérique, aires culturelles qui ne sont pas mon domaine de spécialisation.

 

Ceci dit, la terminologie que je vais vous présenter ici est évidemment valable en dehors du continent africain :

encore une fois, c’est celle qui fait globalement consensus chez les ethnomusicologues, même si certains points font, là aussi, encore l’objet de débats.

 

Cf. je vous renvoie à la bibliographie, avec notamment :

 

AROM, Simha

1985                Polyphonies et Polyrythmies d'Afrique Centrale : structure et méthodologie, Paris, SELAF, 2 vol.

AROM. Simha & MEYER, Christian (sous la dir.)

1993                Les polyphonies populaires russes, Actes du Colloque de Royaumont 1991, Paris, Créaphis (Association Polyphonies vivantes).

MÉYER, Christian (éd.)

1993                Polyphonies de tradition orale. Histoire et traditions vivantes, Paris, Créaphis (Collection Rencontres à Royaumont).

 

 

1ère chose évidemment à se demander lorsqu’on veut qualifier un procédé de superposition :

le type de formation auquel on a affaire :

 

- formation instrumentale (avec instruments de même type, de tpes différents)

- formation vocale

- formation voco-instrumentale

 

Puis le nombre de parties différentes que l’on arrive à percevoir au sein de la formation :

 

sur le terrain, il peut être nécessaire de les enregistrer séparément pour bien comprendre ce que chacun fait : pour parvenir à dissocier chaque partie.

 

Mais concrètement, il n’est pas toujours évident, dans les musiques de tradition orale, que les gens parviennent à vous jouer intégralement leur partie sans le soutien des autres.

Ou alors, ce qu’on obtient est un pâle modèle de ce que les gens réalisent en réalité de façon variée lorsque l’ensemble est présent.

 

Et puis, en enregistrant séparément chaque partie, on perd précisément la façon dont elles s’imbriquent temporellement les unes par rapport aux autres.

 

La solution serait donc de réaliser des enregistrements hors situation en multi-piste. Mais implique un matériel souvent trop lourd pour le terrain.

 

Autre solution plus simple, mais moins efficace :

déplacer ses micros, pour saisir tour à tour en premier plan les différentes parties, tout en ramassant simultanément en arrière-plan le reste de la formation.

 

 

PETIT RAPPEL TERMINOLOGIQUE :

 

• Lorsqu’on n’a qu’une seule partie — une seule voix —, on parlera simplement de monodie (= une seule mélodie) :

 

- qu’il s’agisse de chant monodique,

- ou du jeu d’un instrument monodique, qui ne permet pas l’exécution simultanée de parties musicales différentes (≠ instruments polyphoniques).

Dans la monodie, il n’y a évidemment pas de superposition.

 

 

• Ensemble choral ou instrumental qui exécute simultanément la même ligne musicale :

Jouer à l’unisson = monophonie (plusieurs voix qui exécutent simultanément une même partie, avec éventuellement un intervalle d’octave entre voix masculines et féminines).

Lorsqu’il s’agit d’un chant choral monophonique sans accompagnement instrumental : 

= a cappella : « à la manière de la chapelle » (cf. en réf. aux chœurs d’église sans accompagnement instrumental). 

Là aussi, pas de procédé de superposition, puisque tout le monde fait la même chose simultanément.

 

 

• Cas qui nous intéresse ici :

lorsque sont jouées simultanément plusieurs parties différentes,

que ce soit sur le plan rythmique et/ou mélodique

= au sens strict, ce qu’on appelle la polyphonie : étym. « plusieurs voix » (≠ monodie, monophonie / unisson).

 

L’historique du terme ds la musique occidentale en fait un terme dont le champ de définition est assez large :

Revenir rapidement sur cette historique paraît nécessaire pour comprendre la distinction que nous allons établir entre « pensée verticale » et « pensée horizontale ».

 

- au départ, le terme « polyphonie » fait réf. à la polyph. médiévale, avec une pensée encore proche de la monophonie (homorythmie et voix parallèles : harmonisées par exemple à la quinte), développée entre les Xè – XIIIè siècles.

 

- puis, le sens va aller en se spécifiant :

 

1. L’idée d'indépendance des voix se dvpe à partir du XIVème siècle :

(parties différentes, sur le plan mélod. comme rythm., exécutées simultanément)

= aboutit à la combinaison de lignes musicales indépendantes, ds le contrepoint de la Renaissance.

 

Mais pensée qui reste encore essentiellement linéaire : les parties se développent les unes par rapport aux autres sur l’axe du tps.

Elles appellent à une écoute horizontale, c’est-à-dire à entendre individuellement plusieurs voix séparées, plutôt que leurs effets combinés verticalement :

 

• Il n’y a pas l’idée d’une mélodie principale et de son accompagnement : toutes les parties sont potentiellement égales et présentent une grande variété rythmique

• De même, l’idée de forme séquençable est relativement floue : puisque lorsqu’une partie cesse, une autre poursuit, empêchant ainsi le partage en sections.

• Enfin, l’idée de tonalité au sens vertical du terme — suite d’enchaînements d’accords qui n’appartiennent pas forcément à la même échelle (si modulation) — n’est pas encore claire : on est encore globalement dans une pensée modale, ou éventuellement dans la superposition de modes différents, mais pas dans des enchaînements de structures harmoniques. 

 

2. L’idée d'une pensée verticale ds la composition, pour produire des structures harmoniques (sous forme de successions d’accords), émerge véritablement au début du XVIIè siècle, entre la période baroque (fin XVIè-mi XVIIIè) et le pré-classicisme.

 

 

Donc « polyphonie » est un terme dont le champ de signification est très large.

 

Dans le domaine des musiques de trad. orale, nécessité conséquente d’identifier des sous-genres :

 

Il apparaît donc pertinent de distinguer deux dimensions de la polyphonie :

- L’axe horizontal = l’axe du déroulement temporel : la façon dont chaque partie se positionne temporellement l’une par rapport à l’autre.

- L’axe vertical = l’axe des superpositions, de la simultanéité.

Cette perspective, qui n’est pas développée précisément dans un article récemment publié sur les procédés polyphoniques (cf. article distribué) permet notamment d’aborder ces procédés du point de vue des principes qui sous-tendent leur genèse.

Elle permet à mon sens de dépasser la simple caractérisation typologique pour comprendre, en termes émiques, comment est conçue la polyphonie : quelle intention la motive et la génère ?

Cf. Faire de la musique ensemble relève de différents modes d’ « être ensemble », qui ne sont pas dépourvus de signification d’un point de vue strictement social.

 

= Problématique qui me mène donc à une classification moins catégorique des genres polyphonies répertoriés dans le monde que celle proposée par l’article, dont la visée est avant tout typologique (établir des « types »). 

 

 

Ière PARTIE — Sur l’axe horizontal :

 

Je vais commencer par un exemple d’agencement des parties qui ne relève pas de la polyphonie a priori, mais qui semble cependant souvent l’engendrer :

= ce qui permet un PETIT RAPPEL :

 

• = mode d’agencement des parties extrêmement répandu dans le monde entier :

que ce soit dans le cadre de formations vocales, instrumentales, ou voco-instr. :

 

1/ Ex. musical : chant des femmes peules jelgoobe du Burkina Faso :

calebasse hémisphérique tenue à hauteur de poitrine et frappée avec doigts bagués.

+ bracelets entrechoqués.

= Chant votif pour la venue de la pluie.

 

= responsorial soliste / choeur, avec reprise à l’identique.

Cf. Ici, la partie répondante reprend la partie exposante quasiment à l’identique (hormi qq variations) :

On entend donc le sens du terme « responsorial » comme un type de formation alternant soliste / chœur ou soliste/soliste.

 

antiphonal : choeur/chœur (alternance constituée de deux ensembles numériquement équilibrés).

R. Ces définitions ne font pas la distinction entre reprise ou répons : elle qualifie seulement la proportion des participants.

 

D’où, autre déf. possible, que l’on trouve parfois dans certains écrits (notamment chez S.Arom) :

-         responsorial = exposition A + répons B.

Répons ≠ reprise : le choeur complète ou répond différemment à la phrase du soliste.

-         antiphonal = exposition A + reprise A ou A’ :

Même segment musical repris intégralement, ou repris de façon quelque peu variée. (2 parties = structurellement identiques)

 

Flous ds la terminologie liés au fait que tous ces concepts ont d’abord servi à définir des formes précises de la musique classique occidentale (ici, la psalmodie religieuse).

Mais comme on l’a vu, la plupart de ces notions ont elles-mêmes subi des glissements de sens au cours de l’histoire, au fur et à mesure de l’évolution des formes musicales occidentales de tradition écrite.

D’où, souvent plusieurs niveaux de sens qui se superposent.

 

Les ethnomusicologues choisissent du coup le sens qui les intéresse en fonction de ce qu’ils souhaitent caractériser… 

 

 

Les procédés d’alternances responsoriale ou antiphonale sont récurrentes dans les musiques de tradition orale : certainement dû au fait qu’elles permettent un mode de participation collectif et un apprentissage aisé :

 

Cf. lorsqu’on ne connaît pas bien un chant, il suffit de se mettre dans l’un des deux chœurs, ou dans la partie chorale qui reprend ou qui répond (cf. le répons est souvent fixe = refrain > forme AB A’B A’’B etc.), pour apprendre le chant de l’intérieur, par la pratique avec les autres. 

 

D’où, procédé récurrent notamment dans les chants festifs : permet à tous d’apprendre in situ, et donc de participer.

 

Il s’agit d’un procédé d’alternance temporelle, où il n’y a, bien sûr,  pas de superposition. 

Mais comme je le disais, ce mode d’alternance favorise très souvent un premier procédé de superposition, induit presque très logiquement par une tendance des deux parties à se recouvrir à leurs extrémités :

= procédé de tuilage (cf. les tuiles d’un toit), qui engendre une superposition ponctuelle.

 

Parfois juste sur la fin de la partie qui expose et le début de la partie répondante : = tuilage très bref.

 

• Mais parfois aussi, le tuilage est systématisé, au point que les voix se recouvrent partiellement sur plus de leur moitié.

2/ Ex. musical : chant de lignage des Peuls Wodaabe du Niger :

 

-         Alternance responsoriale entre deux solistes, avec tuilage ponctuel,

-          Puis une phrase où ils se retrouvent en monophonie (unisson)

-   Puis alternance antiphonale (chœur / chœur) avec un recouvrement des voix plus important.

 

Principe de l’antiphonie ici = la voix répondante entonne sa partie dans les aigus, au moment où la voix exposante achève sa phrase par une descente dans les graves. Génère un recouvrement ou tuilage sur près de la moitié d’une phrase.

 

 

Il est donc possible que ces jeux d’alternance responsoriale ou antiphonale soient à l’origine d’un grand nombre de formes polyphoniques :

Cf. nb types de polyphonies engendrées par l’extension progressive de la partie tuilée, qui aboutit à l’exécution quasi-simultanée des 2 parties. 

 

 

• Un type particulier de superposition qui découle d’un tel jeu de décalage sur l’axe horizontal, temporel, donc d’une pensée horizontale :

Ce qu’on appelle l’imitation :

= Imitation d’une première ligne musicale par une ou plusieurs autres voix, selon un décalage rythmique plus ou moins systématique :

-         différent du tuilage, où le décalage rythmique peut être variable et où il n’y a pas forcément imitation.

-         Le procédé dit de canon est un type particulier d’imitation, qui se caractérise par un décalage rythmique systématique = procédé en musique classique de la fugue.

 

3/ Ex. musical :

Cf. voir l’animation de Marc Chemillier, à l’adresse web suivante :

http://www.crem-cnrs.fr/realisations_multimedia/index.php

dans CLÉS D’ÉCOUTE : cliquer sur « Les mélodies jumelles de la harpe ».

= Musiques des anciennes cours Bandia : Jeu de harpes

 

Cliquer tour à tour sur une voix (bleue en haut), puis l’autre (rouge en bas), puis les deux (cercle rouge et bleu à droite).

(R. Profitez-en aussi pour vous balader sur les différentes clés d’écoute du site).

 

=  Formules de harpes jouées en ostinato : = bref motif cyclique, qui constitue un soubassement mélodico-rythmique sur lequel se pose le chanteur.

 

Ici, formule construite sur 1 cycle de 10 tps :

Subdivisé de façon ternaire.

 

L’instrumentiste exécute une première partie aiguë d’une main,

et la reprise en canon transposée dans les graves de cette même partie de l’autre main :

Canon basé sur un décalage de 2 tps (cf. la partie grave commence avec 2 tps de retard).

 

Toutefois, si l’on y regarde de plus près, les deux mains ne jouent pas tout à fait la même partie,

car la partie grave est une transposition de la partie aigue dans le cadre d’une échelle pentatonique irrégulière (cf. harpe qui n’a que 5 cordes jouées à vide).

Echelle Si Réb Mib Fa Lab = triton + tierce mineure (la portée correspondant aux 5 cordes de la harpe).

 

à Mib du registre aigu (main droite) correspond donc Si dans le registre grave (main gauche) = Tierce majeure

à Fa du registre aigu correspond Réb = Tierce majeure

Mais à Lab du registre aigu correspond Mib = Quarte

 

Donc, la transposition ne peut être strictement parallèle : = transposition, non pas tonale, mais modale

D’où, quand la partie aigue fait une montée Mib Fa Lab (ton + tierce min) / la partie grave fait par exemple Si Réb Mib = ton + ton, etc.

 

= Outre ces contraintes liées à l’instrument et son échelle, l’intention est cependant clairement celle d’un canon :

 

À défaut d’une stricte identité mélodique, l’identité du dessin mélodique global est nettement visible, et aussi audible, lorsqu’on essaie d’écouter chaque voix indépendamment de l’autre.

Cf. Plus aisément perceptible lorsqu’une série de notes répétées ds les aigus sont reprises en écho ds les graves…

 

 

= procédé polyphonique qui relève ici de 3 principes  :

- quasi-parallélisme (non strict) entre graves / aigus : harmonisés à la tierce et quarte.

- procédé de canon (imitation avec décalage rythmique systématique)

- mélodie chantée sur ostinato de harpe

 

C’est donc l’intention d’imitation en canon qui génère ici le procédé de transposition des aigus dans les graves. En découle, du point de vue du résultat global, une mélodie chantée sur ostinato polyphonique (à deux voix), homorythmique (sur l’axe vertical, les deux voix effectuent le même rythme), par mouvements mélodiques divergents (i.e. non parallèles sur le plan du résultat).

Pour être précis, notons qu’il y a ici affirmation d’une voix principale (celle du chanteur), et non égalité des parties comme c’est le cas dans le “contrepoint”, au sens fort du terme.

Peut-être vaut-il donc mieux parler en ce cas de “rapport contrapuntique” entre voix chantée et ostinato ?

 

Il faut donc hiérarchiser les données :     - Procédés de base

                                                                  - Résultat global qui en découle.

Ainsi, les procédés polyphoniques se caractérisent rarement par un terme unique.

 

 

• Autre type de procédé de superposition qui découle aussi d’un décalage sur l’axe temporel, mais où s’adjoignent souvent aussi des variations mélodiques entre les parties :

l’hétérophonie.

 

Le principe est que tout le monde est supposé exécuter la même chose (discours musical sous-jacent conçu par les gens comme unique, ou au moins « équivalent »), mais chacun le réalise un peu différemment :

- rythmiquement (jamais une homorythmie parfaite)

- et/ou mélodiquement (par de petites variations mélodiques individuelles)

 

= cas fréquent dans les musiques où est développé un discours soliste, mais accompagné par un instrument : l’instrument joue la même partie, mais pas de façon strictement identique, avec de petites variations

cf. on a vu que ce cas est fréquent dans le monde arabo-musulman, où domine une esthétique monodique ou monophonique liée à la modalité et au dvp d’un discours soliste.

4/ Ex. musical : Syrie, invocation soufie (confrérie Qadiriyya) par l’ensemble Al-Kindi & Sheikh Habboush : hétérophonie entre le chant et la cithare qanun.

 

Ex. où le principe est appliqué à l’extrême :

5/ Ex. musical : Chant de lignage des Peuls Wodaabe du Niger :

 

Variations rythmiques (entre autres par décalages temporels : entrées successives tuilées, non régulières) + variations mélodiques.

Mais la partie musicale de chacun est jugée comme identique, ou au moins équivalente : les Peuls disent que « tout le monde fait la même chose, mais chacun avec ses propres phrases ».

 

Le résultat global est ici une forme contrapuntique (< contrepoint), mais qui découle d’un procédé d’hétérophonie.

 

Déf. courante de l’hétérophonie : « Exécution simultanée, mais quelque peu variée, d’une même référence mélodique, par deux ou plusieurs sources sonores (voix et/ou instr) ».

 

= déf. à mon avis problématique, car elle sous-entend l’existence d’une « référence unique » matérialisable :

or, dans le cas présent, les gens sont d’accords pour reconnaître une équivalence entre les phrases de chacun, mais lorsqu’on leur demande quelle est l’identité commune de ces phrases, i.e. quel est, finalement le modèle qui sous-tend la diversité de réalisation de ces phrases (cf. c’est quoi la phrase-type de leur chant ?), il s’avère que personne ne la réalise exactement de la même manière :

Comme ils disent, « tout le monde fait la même chose, mais chacun avec ses propres phrases ». 

= chacun a finalement de ces chants une image mentale qui lui est propre : à chacun sa propre version du chant… 

 

Pour chaque cas, un travail d’enquête approfondi est donc nécessaire pour comprendre quel est vraiment le modèle mental de référence à partir duquel chacun varie :

- s’agit-il d’une phrase unique faisant office de modèle concret, matérialisable, que l’on apprend à varier = simple épure (sorte de squelette que chacun enrichit à sa manière) ?

- ou plutôt de structures ou de règles que les gens ont assimilées (un peu à la façon d’une grille harmonico-rythmique de jazz), de façon souvent implicite, non formulée ?

= questions qui touchent au problème de la variation et de l’improvisation.

 

Mais peut-être faut-il du coup plutôt retenir la déf. que Pierre Boulez propose de l’hétérophonie :

« Superposition à une structure première de la même structure changée d’aspects » (cf. Boulez met ici l’accent sur l’idée qu’on ne pense plus un modèle musical concret, mais une « structure »).

 

Hétérophonie = catégorie que l’on pourrait dire intermédiaire entre la monophonie et un principe plurilinéaire, mais qu’il faut certainement penser en termes de continuum :

l’exemple du monde-arabo musulman relève en effet d’une conception plus proche de la monophonie ≠ l’exemple des Peuls Wodaabe systématise tellement le procédé d’hétérophonie que l’esthétique développée, du point de vue une fois encore du résultat, relève d’une polyphonie à part entière.

 

 

Indique quoi qu’il en soit une certaine indifférence à la recherche d’unisson parfait :

effet d’unité pas primordial, même si le discours musical tenu par chaque voix est considéré comme identique ou équivalent.

L’unisson parfait serait en fait ressenti comme un appauvrissement.

 

 

Cf. autre déf. de l’hétérophonie, qui tente de définir le type d’intention musicale à l’origine de cette forme :

 

- « l’hétérophonie est la coexistence de plusieurs émissions sonores semblables (je dirai plutôt : jugées comme équivalentes) qui ne cherchent pas à être ensemble, mais plutôt à affirmer leur individualité ». (Jean-Michel Beaudet)

On va se décaler et varier les uns par rapport aux autres pour se distinguer :

= logique plutôt individualiste : surtout, ne pas être ensemble…

 

- Mais peut procéder aussi d’une intention collective (≠ individualiste) : créer un halo, un effet de profusion sonore.

Cas de cet exemple musical des Peuls Wodaabe : l’intention esthétique est de chanter le plus lentement possible pour obtenir un effet de déferlement des voix, de cascade : donner le sentiment du nombre, à l’image de la vitalité du groupe.

Cf. les chanteurs ne sont ici que quatre !

 

Donc à étudier au cas par cas.

 

L’hétérophonie est en tout cas un procédé de superposition qui relève ici encore d’une conception plutôt linéaire, de type horizontal :

on se démarque légèrement par rapport à ce que vient de faire son voisin :

c’est donc dans le déroulement temporel que cela se négocie, de façon interactive.

 

Ce qui crée, du point de vue vertical, des effets polyphoniques sans cesse renouvelés (dans le cadre toutefois d’une même échelle = modal).

D’où, jamais deux interprétations identiques d’une même pièce :

chaque interprétation change en fonction de l’identité des individus mis en présence.

 

 

• Continuons avec les procédés qui relèvent d’une non-coïncidence sur l’axe temporel, avec ce qu’on appelle la mélodie sur ostinato.

Ostinato = bref motif mélodique et/ou rythmique, repris de façon cyclique = en boucle (variée ou non).

 

Parfois, c’est un seul ostinato qui soutient le développement d’une mélodie principale.

= base stable cyclique qui permet au soliste de développer des variations.

 

Mais parfois, l’ostinato est développé par plusieurs voix :

 

6/ Ex. musical : les Wagogo de Tanzanie

 

Grand idiophone à lamelles pincées : à 40 lames métalliques, sur caisse de résonance rectangulaire : dit ilimba = l’un des plus grands d’Afrique.

+ 2 vièles.

+ 1 hochet et le chant soliste.

 

Prélude non mesuré où le soliste énonce l’échelle pentatonique anhémitonique : La Sol Mi Ré Do (+ notes de passage « pyens » ds le chant)

 

Entrées successives : lamello (joue l’intro) / vièle grave, puis vièle aiguë.

 

Lamello : ostinato aigu + pédale basse (à la blanche) : jeu polyphonique en contrepoint (= joue deux parties différentes, mélodiquement et rythmiquement).

 

+ 2 vièles à deux cordes, accordées à la tierce : ostinato joué de façon homorythmique, mais harmonisé à la tierce.

 

Partie aiguë du lamellophone presque à l’unisson avec la vièle aiguë.

 

+ hochet qui donne la pulsation (cycle en 4 tps) : / noire noire croche croche croche demi-soupir /

 

Chant avec variation :   en levée par rapport à l’ostinato.

et phrases chantées de carrure variable.

 

Accélération du tempo à la fin. Et finale en voix de gorge : imite le timbre des vièles ?

 

= chant sur ostinato harmonisé (à la tierce), les parties de l’ostinato s’enlaçant en contrepoint.

Mais affirmation d’un chant principal : donc pas encore du contrepoint à proprement parler.

 

 

 

• 7/ Congo, enregistrement de 1952-57 (High Tracey) : société des Kanyok.

 

Partie instrumentale = superposition d’ostinati mélodiques et rythmiques non homorythmiques : = polyrythmie.

 

= principe de l’entrée décalée, non simultanée, qui permet à l’ensemble de se mettre en place sans décompte de mesure :

1.     2 xylophones : grave et aigu, qui tressent un contrepoint

2.     Tambour qui joue un ostinato

3.     Tambour qui donne la pulse.

4.     3ème tambour en contrepoint rythmique par rapport au 1er

5.     Tambour soliste qui varie

7. Chanteur soliste (pfs à la limite du parler-chanter)

 

Ici encore, affirmation d’un chanteur soliste (d’une voix principale).

= chant sur ostinati mélodiques et rythmiques en contrepoint

(mouvements mélodiques et rythmiques divergents = véritable imbrication, entrelacement des parties).

 

R. L’article distribué définit la polyrythmie comme relevant « d’instruments qui ne procèdent pas d’une quelconque organisation scalaire ». Ceci dit, le critère de la mélodie des timbres (donnés par les différents types de frappe sur les tambours) n’est pas négligeable. Ici, instruments mélodiques et rythmiques se mêlent d’ailleurs pour former une polyrythmie non dépourvue de jeu sur les hauteurs…

 

• Autre forme d’imbrication de parties différentes, mais où domine quand même une voix principale :

= le contre-chant (vocal ou instr.)

8/ Ex. musical : Madagascar, pays Antandroy

Chant funéraire

Sorte de longue ballade, avec passages en parlando, exécutée par des chanteurs professionnels (mpibeko), spécialisés ds le genre de la veillée funéraire (beko).

Retracent la vie et la généalogie du défunt. Pièces qui peuvent durer des heures.

 

Un chanteur soliste, accompagné ici par un chœur (formé de deux voix) qui exécute un contre-chant quasiment à l’unisson :

mouvements mélodiques divergents (non parallèles), qui ne coïncident pas toujours rythmiquement avec ce que fait le chanteur soliste (= non homorythmique).

 

Le chœur construit en fait une ligne harmonique dans les graves, sur laquelle vient se poser le soliste, mais cette ligne s’affirme le plus souvent en « contrepoint » du chant principal, comme une sorte de jeu de répons continu qui relance le chanteur soliste.

Nous sommes donc là encore dans une pensée plutôt horizontale, au sens où les deux parties s’inter-ajustent in situ, au fil du déroulement temporel, le chanteur développant sa partie en fonction de la base donnée par le chœur, cette base étant elle-même susceptible de variations et d’ajustements rythmiques en situation.

 

Cf. Pas de carrure rythmique préétablie (extensible en fonction du texte),

mais le parcours harmonique du chœur est néanmoins cyclique, avec variations.

 

Variations du soliste sur la même échelle (heptatonique diatonique. Cf. 2 demi-tons). Mouvement globalement descendant.

 

Se retrouvent en parlando sur la fondamentale : mais le soliste intervient en levée quand ses accompagnateurs achèvent leur cycle (sur le sol).

 

 = improvisation sur un contre-chant donné par 2 chanteurs.

Cf. L’affirmation d’un chant principal est ici sous-entendue par le terme même de contre-chant. Il n’y a donc pas égalité des parties : donc pas de contrepoint à proprement parler.

 

 

• On monte encore d’un cran dans le contrepoint :

9/ Ex. musical : Pygmées Aka de Centrafrique, chant funéraire :

Chant de déploration autour du défunt.

 

Trois registres : basse grave (des hommes), médian et aigu (des hommes et femmes).

 

Totalement cyclique (8 tps ?) :

période métrique toujours identique, mais les chanteurs tuilent progressivement les points de reprises, si bien que le cycle se trouve estompé pour donner l’impression d’un relais ininterrompu, sans début ni fin.

= forme de contrepoint par extension du principe de tuilage.

 

D’après S. Arom, chaque personne dispose pour chaque pièce d’un stock de formules variées, forgées à partir d’un modèle : = phrase entonnée par le premier chanteur, et qui caractérise le chant (sorte de cantus firmus comme dans l’Ars nova du Moyen Age occidental).

 

Les différents chanteurs vont donc exécuter leurs variantes dans l’un des 3 registres de voix qui leur convient :

puis ils écoutent simultanément ce que fait chacun pour s’émanciper en enrichissant progressivement leur jeu de variations :

par transpositions, permutations (= échanger), commutations (= substituer, et non pas échanger), décalages rythmiques, etc…

 

= le chant se construit ainsi et se complexifie au fur et à mesure, selon un principe d’interaction entre participants, qui se joue ici aussi en situation.

Donc jamais deux fois la même exécution… 

 

D’après Arom, les Pygmées ne supportent pas l’unisson :

dès que leur voix fusionne avec quelqu’un par coïncidence, ils s’en éloignent par l’introduction d’une nouvelle variante.

 

Mais il y aurait tjs des points de jonction à l’intérieur de la période :

quinte, octave, qui permettent ensuite un acheminement vers des dissonances passagères.

 

= Véritable contrepoint : au sens de « totale égalité entre les parties » (pas de mélodie principale).

 

R1. Ce n’est pas un canon, puisque personne ne chante exactement la même chose et que le décalage entre les voix n’est pas tjs identique, systématique : l’intention est bien ici de varier à partir d’un même modèle, pour créer un ensemble dense, et non d’imiter.

 

R2. On pourrait parler ici d’hétérophonie, comme je l’ai fait pour les Peuls, puisque les variations sont forgées sur un même modèle, et que la référence mentale de chacun semble être ici la même.

La question est donc : les Pygmées considèrent-ils qu’ils chantent des parties différentes, ou qu’ils chantent différemment des parties qu’ils jugent équivalentes ?

Autrement dit, l’intention qui domine est-elle, à partir de variations d’un même modèle, de créer un entrelacement si dense qu’il engendre un effet contrapuntique très marqué, ou au contraire de faire entendre de façon légèrement différente, individualisée, un même discours musical ?

 

Seul indice pour répondre à cette question : le fait que les Pygmées attribuent des appellations distinctes aux parties qu’ils chantent…

 

Quoi qu’il en soit, et comme dans le cas des Wodaabe, le résultat esthétique qui l’emporte ici n’est pas l’hétérophonie, au sens d’un cheminement unique légèrement étoffé de variations :

c’est bel et bien le contrepoint qui domine du point de vue du résultat.

 

Hétérophonie, et contrepoint forgé à partir de variations d’un même modèle musical, sont donc peut-être à envisager sur le plan formel comme un continuum, l’un pouvant générer l’autre et réciproquement,

la différence se situant finalement au niveau de l’intention esthétique poursuivie par les gens :

à savoir, un discours unique étoffé d’effets polyphoniques ou un écheveau dense de voix considérées comme ayant une identité propre, autonome ?

 

Dans ce type d’ensemble, il faut donc avant tout s’interroger sur la façon dont sont nommées localement les parties vocales ou instrumentales : i.e. ont-elles des appellations distinctes ou les gens considèrent-ils qu’ils font sensiblement la même chose ?

 

 

10/ Ex. musical : Les Dorzé d’Éthiopie

Chanté par les hommes lors du passage de certains au rang de dignitaires.

= Rite de passage.

 

Ici, on monte encore d’un cran dans le contrepoint :

Six parties qui chantent chacune une période musicale très courte, présentée comme différente, mélodiquement et rythmiquement (d’après la description qui en est donnée dans la notice du CD, il ne s’agirait pas de variations d’un même modèle) :

-un chœur qui chante le texte principal

-plusieurs solistes différents, qui font des répons variées au chœur, et l’enlacent progressivement jusqu’à créer un tressage de voix très dense.

-et des “voix libres”, ad lib, qui se surimposent aux autres en improvisant in situ, en interaction avec les différents solistes.

+ frappements de mains.

 

= Cycle de 6 tps. + Accelerando

 

Le tout s’imbrique en créant une véritable mosaïque sonore où on ne perçoit pas réellement de discours principal

= entrelacement de voix qui jouent toutes un rôle égal, et s’affirment ds leur interdépendance

= elles se positionnent les unes par rapport aux autres sur l’axe temporel,

d’abord de façon plutôt responsoriale, puis en se tuilant de plus en plus, de sorte que la notion même du cycle initial finit ici encore par être estompée (on ne sait plus où sont le début et la fin du cycle).

 

= Polyphonie en contrepoint, par excellence.

 

 

• Le contrepoint peut bien sûr être également instrumental :

11/ Ex. musical : consulter le site web du gamelan mécanique de Kathy Basset : Java et Bali :

http://www.cite-musique.fr/gamelan/

en cliquant sur les rosaces, vous avez accès à différents types de transcription (circulaires et en colonne). Vous pouvez cliquer sur les instruments pour les supprimer un à un et entendre ce que joue chaque partie.

(R. Pour consulter le site, il peut être nécessaire de télécharger « shockwave »).

 

Chaque catégorie d’instruments au sein d’un gamelan est destinée à une fonction immuable :

soit mélodique (claviers en métal), soit de soutien rythmique (tambours), soit de ponctuation (dite colotomie des gongs).

 

3 types de clavier :

Les claviers en général en métal (métallophones), de tessiture médium, jouent la mélodie directrice (à la noire), sorte de cantus firmus,

tandis que les claviers de tessiture aigue donnent les ornements en contrepoint rapide (croches et doubles-croches),

et les basses frappent les degrés principaux de la mélodie (à la blanche ou la ronde).

 

+ Gongs isolés, suspendus sur portique ou couchés, déterminent la structure du morceau en ponctuant les cycles qui la composent : début du cycle, quart, demie, 3/4) : ex. tous les 8 temps, etc.

 

= principe systématique de subdivision binaire, avec un jeu plus ou moins syncopé selon les genres musicaux.

 

= procédé d’imbrication des parties, sur le plan aussi bien mélodique que rythmique, qui forme une polyphonie en contrepoint (ou contrapuntique).

 

R. Dans l’article distribué, les polyphonies instrumentales balinaises sont considérées comme de l’hétérophonie,

dans la mesure où variations, ornementations et monnayages rythmiques  (= densification rythmique par subdivision) renvoient à une référence musicale unique, sorte de cantus firmus joué dans le registre médian (= chant principal sous-jacent à toutes les parties).

Mais comme dans l’exemple ci-dessus des Pygmées Aka, chaque partie est, à Bali, identifiée par une appellation distincte.

Et je ne crois pas que les Balinais considèrent que ces parties soient semblables.

 

Il y aurait donc une étude plus fine à mener sur l’intention esthétique qui les anime et sur la façon dont ils pensent leur musique. 

Quoi qu’il en soit, le résultat sonore évoque plus du contrepoint que de l’hétérophonie.

 

C’est dire à quel point ces catégories terminologiques ne sont que des outils de départ pour tenter de décrire plus avant un procédé musical. Vouloir figer un procédé sous une appellation unique semble relever d’une conception bien restrictive de la musique…

 

 

 

• Le contrepoint est parfois associé à la technique de hoquet :

contrepoint en hoquet : distribution d’une mélodie entre différentes parties, chacune n’exécutant qu’une seule hauteur.

Cf. Principe sous-jacent = Mélodie unique, distribuée entre les participants.

 

Procédé fréquent lorsqu’on a affaire à des ensembles instrumentaux dont chacun ne peut produire qu’une seule hauteur.

 

Ex. orchestres de trompes ou de flûtes : tuyaux de longueurs différentes, chacun ne produisant qu’une seule hauteur, différente des autres.

Un instrument par personne.

 

Mais procédé qui peut aussi être reproduit à la voix.

 

Comme chaque participant exécute le plus souvent un bref motif rythmique, qu’il reprend de façon cyclique, l’ensemble des motifs joués par les participants va finalement produire un entrelacement, qui forme contrepoint.

 

En ce sens, le hoquet est donc un procédé susceptible de générer du contrepoint. Ce qui en fait une catégorie parmi d’autres de contrepoint, dite « contrepoint selon le procédé de hoquet », et non une catégorie en soi, comme proposé dans l’article distribué.

 

D’ailleurs, le hoquet, en soi, ne génère pas toujours d’effets polyphoniques :

il peut tout à fait demeurer monodique, sous la forme d’une simple succession de hauteurs réparties entre plusieurs personnes.

 

12 et 13/ Ex. musicaux : Banda Linda de Centrafrique (version instrumentale et reprise de la même pièce à la voix).

 

 

 

IIè partie — Procédés de superposition où des parties différentes s’agencent les unes par rapport aux autres, non plus sur un axe horizontal, temporel,

mais de façon plutôt verticale (axe de la simultanéité) :

= procédés polyphoniques qui privilégient une pensée avant tout verticale, harmonique. 

 

 

• La mélodie sur bourdon

bourdon = ligne tenue, recto-tono (sur une seule hauteur)

 

Différents types de bourdon :

continus ou discontinus, entrecoupés de silences réguliers, ou sporadiques (non réguliers), pfs aussi étagés… 

 

 

14/ Ex. musical : Albanie

2 voix solistes qui alternent sur un bourdon tenu par un chœur masculin.

 

= Aire culturelle où le bourdon découle sûrement de ce qu’on appelait à l’époque byzantine « l’ison » (cf. l’ison existe tjs ds les chants liturgiques de l’église orthodoxe et dans de nombreuses musiques populaires d’Asie Centrale).

 

Il fait office de référence harmonique pour les chanteurs solistes (puisque souvent joué sur la fondamentale).

 

On peut parler ici de forme élémentaire d’étagement sur l’axe vertical,

dans la mesure où la voix principale ne s’élabore pas par rapport à l’axe temporel (volonté de se positionner en situation par rapport à une autre voix), mais pense plutôt ici les intervalles harmoniques qui découlent du rapport entre cette note tenue et le cheminement varié qu’elle développe. 

 

 

• Autre procédé de superposition qui privilégie une harmonisation verticale des voix :

la polyphonie par mouvements parallèles = implique une homorythmie des parties :

toutes font le même rythme, mais les voix sont étagées selon un intervalle constant :

le plus souvent de tierce, quarte, ou quinte.

 

On privilégie donc la coïncidence rythmique pour faire entendre, sur l’axe vertical, l’étagement des voix.

 

R. la catégorie d’homorythmie de l’article est là aussi contestable,

car l’homorythmie pourrait tout aussi bien désigner un orchestre de percussions jouant à l’unisson (ex. tambours royaux du Burundi) : 

l’homorythmie n’est donc pas un procédé polyphonique en soi, mais bien plutôt une caractéristique rythmique des procédés polyphoniques qui privilégient une pensée verticale.

 

Mieux vaut donc parler plus précisément de polyphonie par mouvements parallèles ou divergents, l’homorythmie étant finalement induite par ces 2 termes :

-         si pas d’homorythmie, pas de parallélisme possible (comme le montrait bien le cas étudié de canon, où le décalage rythmique supprime le principe de parallélisme entretenu entre les deux voix),

-         quant aux mouvements divergents, mais non homorythmiques, ils relèvent du « contrepoint » !

 

Ainsi, l’homorythmie implique le plus souvent une plus grande fixité de la forme musicale. Il s’avère en effet relativement impossible de jouer à l’unisson rythmique sans que la forme musicale ne soit déjà pré-établie. 

Jouer avec l’autre, que ce soit de façon variée à partir d’une base commune, ou mieux, de façon strictement improvisée, revient donc toujours à privilégier l’entrelacement rythmique (ou « cross-rhythms », comme disent les anglo-saxons).

Sans doute est-ce qui explique que l’émergence d’une pensée verticale en Occident se soit soldée par l’éviction de toute forme d’improvisation,

tandis même que la plupart des aires musicales où dominent les principes de variation et d’improvisation n’ont pu pour leur part développer de formes harmoniques verticales complexes.

 

La fixité des formes serait donc une caractéristique fondamentale d’une pensée musicale strictement verticale.

 

 

15/ Ex. musical : Baoulés de Côte d’Ivoire

Exercice : identifier l’intervalle entre les voix.

 

Chant antiphonal : choeur de femmes, alternant avec duo de deux fillettes. Reprise à l’identique (et non pas un répons).

 

+ Soliste qui fait des variations ds le choeur de femmes.

+ Râcleur (bâtonnet denté).

 

= Polyphonie par mvts parallèles – à la tierce mineure - (pour les 2 chœurs).

 

 

• Dernier procédé : polyphonie par mvts divergents (obliques ou contraires ≠ jamais uniquement parallèles) :

Procédé qui implique donc l’homorythmie.

 

• 16/ Ex. musical : Itcha (sous-groupe yoruba) du Bénin).

Musique de rituel.

Cf. se référer à la partoch de cette pièce déjà distribuée pour le cours sur les rythmes non mesurés.

 

Partie chorale du chant (2ème partie, à 1’56) = polyphonie à deux voix, par mvts divergents (sur le plan mélodique), avec homorythmie : 

contrairement à l’exemple précédent, la voix principale et les voix graves qui la soutiennent suivent des cheminements mélodiques différents, mais suivant un même rythme. 

 

Le fait même que les mouvements soient divergents (cf. intervalles de tierces, quartes, quintes, sixtes, octaves) révèle qu’il y a ici une recherche de combinaisons harmoniques successives différentes :

Donc une pensée à l’évidence verticale, étagée, au détriment de l’axe horizontal, et du coup, de la complexité rythmique.

 

 

On est cependant ici dans une pensée modale (≠ tonale) :

En mode heptatonique de Do : Do Ré Mi Fa Sol La Si Do

Pas de modulation en vertu de règles verticales de tonalité, qui induiraient des altérations ponctuelles ou des changements de mode.  

On reste d’un bout à l’autre dans la même échelle.

 

À noter qu’il s’agit bien d’une forme fixe, pré-établie (sans quoi, les chanteurs ne pourraient chanter ainsi sur le même rythme, et ne pourraient s’harmoniser que de façon ponctuelle, sur des notes tenues, non de façon durable, d’un bout à l’autre de la pièce, comme c’est le cas ici).

 

 

Avec ce type de procédés polyphoniques verticaux, nous sommes finalement en présence d’une esthétique qui révèle un autre mode d’être ensemble, où l’on se coule dans une même respiration.

La différenciation des parcours n’est pas individualisée au même degré que dans le contrepoint (homorythmie oblige), dans la mesure où il ne s’agit pas de chercher à se distinguer des autres, d’émerger à titre individuel. Les différences de parcours doivent au contraire ici se combiner et se compléter de sorte à donner l’impression de n’émettre qu’une seule voix, riche sur le plan harmonique.

 

 

 

• 17/ Ex. musical : Polyphonie de Sardaigne (Italie).

 

Voir aussi l’animation de Bernard Lortat-Jacob : La quintina, à l’adresse suivante, dans clés d’écoute :

http://www.crem-cnrs.fr/realisations_multimedia/index.php

Aller dans « écoute et transcription », faire jouer la musique, puis cliquer dans la clé de sol du haut pour entendre la quintina seule ou avec le chœur.

Lorsque vous êtes sur play, vous pouvez également cliquer sur le volet du sonagramme à droite, et gommer la quintina pour entendre la différence, avec ou sans.

 

Polyphonie d’accords à 4 voix : chœurs de la Semaine Sainte.

strictement homorythmiques (sauf sur les débuts où la voix grave lead anticipe).

 

= 4 registres de voix :

du grave à l’aigu : bassu, contra, bogi et falzittu. 

Les règles tonales ne sont pas forcément académiques par rapport à la tradition écrite occidentale,

mais on n’est plus ici dans une pensée modale, au sein de laquelle les rapports harmoniques resteraient dans le cadre d’une même échelle. 

Ici, pas une seule échelle : cela module clairement selon des règles harmoniques tonales, donc verticales. 

 

En outre, les chanteurs s’accordent de sorte que leurs harmoniques se combinent et se renforcent les uns les autres pour produire une voix fusionnelle : une octave au-dessus de la voix bogi.

= Voix virtuelle, qui n’est chantée par personne, née de la fusion des harmoniques.  Mais étrangement, elle se comporte comme un son fondamental, puisqu’elle génère ses propres harmoniques !

 

Cette voix est perçue par les chanteurs comme la voix de la Madonne : la vierge.

Influence évidente de la liturgie chrétienne.

 

= esthétique qui joue principalement sur les différentes couleurs harmoniques des accords.

Pour ce type de polyphonies à plusieurs voix, certains parlent d’ailleurs plus simplement de “polyphonie harmonique” ou de “polyphonie d’accords”.

(L’article propose le terme d’homophonie, mais ambigu, car ds certains écrits, le terme est parfois confondu avec la monophonie).

 

Dans le cas présent, la polyphonie a même une dimension véritablement spectrale (cf. jeu dur les composantes harmoniques du spectre sonore).

 

Procédé peu répandu en Afrique :

= très répandu dans les musiques de tradition orale de l’Europe méditerranéenne = influence de l’aire culturelle chrétienne

(cf. chants corses, sardes, géorgiens, albanais, etc.…)

 

Au point que lorsqu’on le rencontre en Afrique, on peut se demander s’il n’y a pas eu influence des chants d’Église : cf. régions christianisées de la côte africaine.

Par exemple très net dans les polyphonies zulu d’Afrique du Sud.

 

 

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Un mot de conclusion sur la dimension artificielle des catégories :

 

- elles ont une réalité en tant que catégories intellectuelles (c’est dans la nature de l’être humain d’ordonner de façon typologique et de classer ce qui l’entoure : cf. dans le cas des polyphonies, ces catégories nous viennent directement de la musicologie occidentale).

 

 

- Mais ont-elles une réalité substantielle ?

Au sens : s’agit-il de catégories universelles pré-existant dans l’esprit humain lorsqu’il crée des procédés polyphoniques ?

Ou seulement de catégories scientifiques établies a posteriori pour caractériser les procédés musicaux ?

 

L’article ne soulève pas cette question,

mais la façon même dont il pose les données (en prenant des exemples de procédés polyphoniques du monde entier, et en cherchant à les classer sans s’interroger sur leur genèse) indique que l’on est dans un courant de pensée qui se réclame de la linguistique structurale,

et qui cherche donc à établir quels sont les universaux de la musique.

 

On retrouve donc ici, une fois encore, la question des universaux posée par le structuralisme.

 

On peut en effet (ce que j’ai plus ou moins essayé de faire avec le peu d’infos dont on dispose) envisager ces catégories sous un tout autre angle :

 

sous l’angle de leur genèse :

 

Comment dans une société donnée un procédé musical — en l’occurrence polyphonique — en génère-t-il progressivement un autre ?

Et comment, au gré des contacts entre société, passe-t-on des formes les plus hétérogènes à des formes se modelant les unes les autres pour se stabiliser ponctuellement, avant de diverger de nouveau ?

 

Approche qui prend en compte la variation continue : le continuum des catégories entre elles, dans le temps comme dans l’espace, au gré des contacts humains (= procédés évolutifs ds le tps, et qui peuvent aussi se diffuser d’une population à l’autre par contact…) :

 

Il n’y aurait donc, selon cette approche, que des cas particuliers, que l’on peut éventuellement classer dans l’une ou l’autre catégorie a posteriori… 

= revient à aborder les choses sous l’angle de leur existence historique et dynamique, et donc, non définie par avance,

 

≠ et non pas d’un point de vue essentialiste, qui pose la notion de catégorie comme une sorte de moule préalable, comme un ensemble clos qui serait censé préexister à toute création polyphonique.

 

= question qui traverse la totalité des sciences, y compris les sciences dures, dites « exactes » :

 

pour réflexion, texte à lire qui pose en termes différents la même problématique, mais dans le cadre de la biologie.

 

 

Extrait de Jean-Jacques Kupiec & Pierre Sonigo, Ni Dieu, ni gène. Pour une autre théorie de l’hérédité, éd. du seuil, coll. Points Sciences, Paris, 2000, pp. 45-57.

 

Cf. ci-dessous :

 

 

 

« Darwin a fait ce que Buffon, Lamarck ou aucun autre de ses précurseurs n’avaient fait. Il a rejeté sans ambiguïté la notion de spécificité au profit de la variation, érigée en propriété première des êtres vivants. C’est ce qui lui a permis d’élaborer la théorie de la sélection naturelle. Dès les premières lignes du premier chapitre de L’origine des espèces

(« Quand on compare les individus appartenant à la même variété, ou à la même sous-variété de nos plantes cultivées depuis le plus longtemps, et de nos animaux domestiques les plus anciens… » ),

Darwin porte son attention sur les individus, qu’il va comparer pour mettre en évidence leurs variations infinies. Pour lui, la seule réalité se situe à ce niveau. Dans les lignes qui suivent, il analyse les causes de cette variabilité.

Lorsque Darwin a produit sa théorie, les lois de l’hérédité et de la reproduction étaient encore très peu connues. Pour expliquer les variations individuelles, il fait appel à plusieurs mécanismes. L’influence directe du milieu par l’usage ou le non-usage des organes, comme Lamarck, mais également ce qu’il nomme la variabilité indéfinie ou flottante, c’est-à-dire aléatoire. Celle-ci préfigure, d’une certaine manière, ce qu’on appelle aujourd’hui une mutation. Darwin privilégie cette variabilité indéfinie, dont le résultat est la production de différences individuelles. Il met donc d’emblée l’accent sur la fragilité de la notion d’espèce. Celle-ci n’a pas reçu de définition satisfaisante mais on utilise malgré tout ce concept par commodité, sans en connaître le sens précis.

« Je ne discuterai pas non plus ici les différentes définitions que l’on a données du terme espèce. Aucune de ces définitions n’a complètement satisfait tous les naturalistes, et cependant chacun d’eux sait vaguement ce qu’il veut dire quand il parle d’une espèce. »

On le verra plus loin, son analyse le conduira à proposer une définition nouvelle de l’espèce, fondée sur la généalogie et la variation. Buffon parlait encore de prototype général sur lequel chaque individu est modelé et, pour Lamarck, il existait de grands types correspondant aux grandes classes de l’échelle des êtres. Chez Darwin, l’attention apportée aux différences conduit à reconnaître qu’il n’existe pas de parangon[1] correspondant à des caractères importants qui ne varieraient jamais.

« On peut donner le nom de différences individuelles aux différences nombreuses et légères qui se présentent chez les descendants des mêmes parents (…). Nul ne peut supposer que tous les individus de la même espèce soient coulés dans le même moule (…). Il est bon de se rappeler que les naturalistes à système aiment fort peu à admettre que les caractères importants peuvent varier. (…) Les auteurs tournent souvent dans un cercle vicieux, quand ils soutiennent que les organes importants ne varient jamais ; ces mêmes auteurs, en effet, et il faut dire que quelques uns l’ont franchement admis, ne considèrent comme importants que les organes qui ne varient pas. Il va sans dire que, si l’on raisonne ainsi, on ne pourra jamais citer d’exemples de la variation d’un organe important ; mais, si l’on se place à tout autre point de vue, on pourra certainement citer de nombreux exemples de ces variations. »

Dans ces dernières lignes, Darwin évoque deux points de vue théoriques opposés. Il y a, d’une part, l’opinion fixiste traditionnelle, qui, nous l’avons vu, relève de la tradition réaliste du Moyen-Âge, et, d’autre part, l’optique évolutionniste qui pointe les variations individuelles au détriment des espèces.

Notons au passage que c’est aussi ce que l’on appelle aujourd’hui un programme génétique qui est ici, à l’avance, remis en question. En effet, le programme génétique correspond à la notion de moule, héritée des conceptions ontogénétiques de Buffon et d’Aristote, supposée définir un plan d’organisation caractéristique de l’espèce ; et que reste-t-il de cette notion s’il y a autant de programmes que d’individus ? si tous les caractères et les organes peuvent varier ? Darwin nous dit ici qu’il n’existe pas deux individus coulés dans le même moule. C’est justement ce que n’arrivait pas à penser Buffon et ce sur quoi il a buté. Si l’on pousse jusqu’au bout la logique des ces lignes, on doit rompre avec les théories ontogénétiques reposant sur un principe donné a priori (moule, programme).

Continuant son analyse, Darwin en vient à étudier les espèces douteuses. Ce sont les cas où il est difficile de dire si l’on a affaire à une variété ou à une espèce véritable. Il en arrive à cette conclusion :

« On comprendra, d’après ces remarques, que, selon moi, on a, dans un but de commodité, appliqué arbitrairement le terme espèce à certains individus qui se ressemblent de très près, et que ce terme ne diffère pas essentiellement du terme variété, donné à des formes moins distinctes et plus variables. Il faut ajouter, d’ailleurs, que le terme variété, comparativement à de simples différences individuelles, est aussi appliqué arbitrairement dans un but de commodité. »

Finalement, la notion de spécificité est inquantifiable. (…)

La classification a cependant bien une signification.  Mais ce qu’elle reflète n’est pas l’expression statique de la création et du dessein divin. Ce qu’elle reflète, c’est le lien généalogique de tous les êtres vivants, donc l’évolution. L’espèce est pour Darwin un ensemble d’individus qui ont un ancêtre commun, sans référence à une identité de structure. La descendance s’accompagnant toujours de modifications, la ressemblance plus ou moins forte de deux individus est une conséquence d’un lien de parenté plus ou moins fort.

« Toutes les règles, toutes les difficultés, tous les moyens de classification qui précèdent, s’expliquent, à moins que je ne me trompe étrangement, en admettant que le système naturel a pour base la descendance avec modifications, et que les caractères regardés par les naturalistes comme indiquant des affinités réelles entre deux ou plusieurs espèces sont ceux qu’elles doivent par hérédité à un parent commun. Toute classification vraie est donc généalogique ; la communauté de descendance est le lien caché que les naturalistes ont, sans en avoir conscience, toujours recherché, sous prétexte de découvrir soit quelque plan inconnu de création, soit d’énoncer des propositions générales, ou de réunir des choses semblables et de séparer des choses différentes. »

Cette définition est reprise au chapitre final.

« Le système naturel est un arrangement généalogique, où les degrés de différence sont désignés par les termes variétés, espèces, genres, familles, etc. »

Il est important d’en bien mesurer le contenu. Répétant en biologie ce qu’Ockham avait fait cinq siècles auparavant pour la métaphysique, Darwin abandonne les entités idéales qui hantaient ses précurseurs, pour regarder les individus réels. Cette définition ne traduit plus une propriété immuable des espèces, telle que la possession d’une structure caractéristique (différence spécifique), (…) mais le mécanisme de l’évolution lui-même, c’est-à-dire la variation qui est à sa base. (…) L’espèce n’est pas une entité statique. Il s’agit d’un processus. Par cet abandon de la spécificité, Darwin a ouvert la possibilité d’une théorie biologique nouvelle, en rupture avec la métaphysique d’Aristote. (…)

La théorie de Darwin a connu un immense succès et a souffert d’un immense malentendu dans le “grand public”. La publication de l’origine des espèces a beaucoup moins propagé la théorie de la sélection naturelle, et encore moins l’arrière-fond théorique qui la soutient, que la thèse générale de l’évolution. (…)

La définition de l’espèce est la partie la plus mal comprise du darwinisme. Elle fut immédiatement refoulée, à peine avait-elle été formulée (…).

Avant même la fin du XIXè siècle, l’avènement de la génétique marqua un retour massif du réalisme de l’espèce. (…)

Ce retour au réalisme de l’espèce fut avant tout une décision métaphysique, et non une découverte expérimentale. À quoi pouvait nous servir une définition de groupes qui restent indéterminés dans la majorité des cas ?

 

 



[1] Parangon : modèle (Petit Robert).

7 septembre 2011

LES SYSTÈMES SCALAIRES DANS LE MONDE

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LES SYSTÈMES SCALAIRES DANS LE MONDE

Sandrine Loncke, Paris 8, nov. 2007

1.7. Pentonisme et systèmes tétratoniques, tritoniques et bitoniques, selon Braïloiu

Là aussi, ont svt été vues comme étant des échelles défectives dérivées du pentatonique.

≠ Braïloiu parle quant à lui de systèmes pré-pentatoniques :

Selon la terminologie de Braïloiu, sont appelées tétratoniques (4 sons), tritoniques (3 sons) ou bitoniques (2 sons) les systèmes répondant aux mêmes principes que le pentatonisme (au sens où ils sont supposés être générés par la loi de la consonance, qu’ils suscitent autant de modes ou « aspects » qu’ils comprennent de degrés et qu’ils présentent des stéréotypes mélodiques).

Les caractéristiques de ces systèmes sont donc les suivantes :

• Le système pentatonique est caractérisé par ses deux tons conjoints ou pycnon.

• Le système tétratonique : par sa tierce mineure

• Le système tritonique : par sa seconde majeure (qui joint entre elles deux quartes consécutives).

(À noter que ce système aurait été l’un des fondements de la musique classique de l’antiquité grecque : cf. accord de la lyre antique en 5 1 2 5. Puis adjonction successive de pyen)

• Le système bitonique se réduit à 2 mouvements : quinte et quarte ! 

cf. polycopié

D’après lui, ces systèmes n’en sont pas moins doués d’une autonomie réelle : ils constitueraient donc des systèmes en soi.

Braïloiu les évoquent cependant sous l’appellation de « systèmes pré-pentatoniques », selon l’idée que chacun présente par rapport à l’autre « un retard d’une consonance », puisqu’il possède une quinte de moins dans le cycle des quintes : le tétratonisme serait ainsi en retard d’une consonance par rapport au pentatonisme, de même que le tritonisme par rapport au tétratonisme, et ainsi de suite.

Avec un peu de recul historique (Braïloiu écrit dans les années 60 !), ce concept de « pré-pentatonisme » apparaît totalement inapproprié, car profondément empreint d’évolutionnisme : il sous-tend en effet l’idée que ces systèmes auraient précédé l’émergence du pentatonisme, et que celui-ci aurait été le fruit de l’ajout progressif de quintes, ce qui nous renvoie à la thèse aujourd’hui discréditée selon laquelle l’humanité “progresserait” par étapes linéaires, en allant toujours du plus simple au plus compliqué, du “moins évolué“ au “plus évolué“.

Sur ce point, Braïloiu ne fait qu’illustrer les conceptions scientifiques qui perdurent encore à son époque, malgré le constat évident que ces systèmes existent encore de façon bien vivante dans de nombreuses musiques du monde, qui connaissent le plus souvent aussi le pentatonisme : ces systèmes ne sont donc aucunement des archaïsmes.

On peut poser comme hypothèse qu’ils relèvent d’un choix ponctuel de ne pas utiliser la totalité des degrés fournis par le pentatonisme, pour conférer à une pièce une couleur particulière. Cela revient à poser que le modèle sous-jacent à ces échelles serait bien un pentatonisme que l’on déciderait de ne pas décliner au complet.

Autrement dit, ces échelles ne seraient pas des systèmes en soi, mais des systèmes défectifs.

Une telle hypothèse ne peut être validée qu’au cas par cas, par l’analyse comparative des autres pièces d’un même répertoire.

De la même manière, se pose aussi la question de l’autonomie des échelles hexatoniques (6 sons) : s’agit-il d’un système en soi, d’un pentatonisme ponctuellement augmenté d’un pyen qui se serait stabilisé, ou au contraire d’un heptatonisme (7 sons) ponctuellement défectif ?

Sur ce point, il n’y a pas non plus de réponse définitive, mais ces questions sont autant de pistes d’analyse lorsqu’on se trouve en présence d’échelles à 3, 4, ou 6 degrés.

Retenons en tout cas que le post-fixe « -tonique » (tétra-tonique, tri-tonique, etc.) renvoie à des systèmes générés par le cycle des quintes, avec ou sans altérations.

Dans le cas d’échelles ne relevant pas de ce principe, on parlera plus simplement d’échelle pentaphonique, tétraphonique, triphonique, etc. (étymologiquement : « à 4, 3 ou 2 sons »).

Ex. C D F G est bien une échelle tétratonique, mais C D F Bb, qui a peu de chance d’être le fruit d’une altération des quatre premiers degrés du cycle des quintes, sera plus simplement appelée tétraphonique.

A priori, de telles échelles sont assez rares.

Lorsque des échelles à 5, 4, 3 ou 2 sons sont plus simplement constituées de degrés conjoints — cas bien plus courant —, on parlera en revanche de pentacorde, trétracorde, etc., ou d’échelle pentacordale, tétracordale, etc.

De telles distinctions terminologiques ont en fait le mérite d’impliquer une caractérisation immédiate du système auquel on a à faire : on sait tout de suite de quoi l’on parle… 

1.8. Le pentatonisme et la question des tempéraments

Revenons sur la théorie selon laquelle le système pentatonique s’expliquerait par la loi acoustique de la consonance (cf. Helmholz : les intervalles dits consonants, c’est-à-dire qui ne produisent pas de battements audibles, sont ceux dont les sons constitutifs sont dans un rapport simple de fréquence. Le rapport le plus simple est l’octave — 1/2 —, dont les sons constitutifs ont en commun un si grand nombre d’harmoniques que l’on peut douter de la présence de deux notes ; puis vient la quinte — 3/2 —, puis la quarte — 4/3, la tierce majeure — 5/4, etc.).

La quinte est donc, après l’octave, le premier intervalle apparaissant dans la série des harmoniques naturels, si bien que, du point de vue de la perception, on peut concevoir qu’un son x appelle immédiatement sa composante immdiate, la quinte, laquelle fait de même, et ainsi de suite). D’où, le cycle des quintes, constitutif du système.

En conséquence, toute échelle pentatonique, étant issue de quintes justes, devrait théoriquement être naturelle, non tempérée.

Mais dans la pratique, c’est loin d’être le cas.

Plusieurs raisons peuvent être avancées :

a/ Certains théoriciens, au fil des époques, ont imposé des tempéraments :

Ex. Dans la Chine du XVIè siècle, le prince Tsai Yu aurait suggéré l’imposition d’un tempérament égal au système pentatonique chinois parce qu’il s’était aperçu que la hauteur des degrés joués sur la cithare qin (cithare sans frettes) ne correspondait pas à celles calculées en termes de rapports de proportion pour les tuyaux sonores (notamment les orgues à bouche). Il suggère donc un changement de tempérament pour des raisons d’accords entre instruments.

b/ Le caractère non naturel (donc tempéré) d’une échelle peut aussi s’expliquer par suite de déformations occasionnelles, dues à l’imperfection ou à la facture particulière des instruments.

En Extrême-Orient, bien peu d’instruments sont à sons fixes (on désigne par cette expression tout instrument dont les hauteurs de notes ne peuvent être ajustées par l’instrumentiste, sauf par accordage : c’est le cas des instruments à clavier, des harpes et lyres, des luths et vièles à frettes, et dans une moindre mesure, des aérophones à trous de jeu, dont les hauteurs sont relativement déterminées — contrairement par exemple aux aérophones à coulisses —, même s’il y a ajustement possible avec la bouche).

Dans un système de transmission orale, des variations sensibles de hauteurs peuvent donc très vite s’insinuer, de façon d’ailleurs plus ou moins fixe.

Ex. musical, pl. 9 : écoute du luth ti-ba piriforme, sans frette

Cet exemple montre entre parenthèses qu’on ne peut véritablement relever l’accord de nombreux instruments qu’en cours de jeu.

c/ Sans qu’il soit même question d’imposition d’un tempérament, de nombreuses variations de hauteurs peuvent être réalisées dans un but expressif.

L’ethnomusicologue Tran Van Khe a par exemple comparé plusieurs enregistrements d’une même pièce vietnamienne appartenant au répertoire classique et jouée dans tout le pays.

Ex. musicaux : écoutes des pl. 10, 11, 12 et 13 : pièce Hanh Vân (enregistrements réalisés entre 1927 et 1957 !)

Pièces construites sur l’échelle pentatonique anhémitonique CDFGA

Exercice 5

Repérer dans les 4 versions les degrés de hauteur instable, fluctuante.

les 3 degrés forts — fondamentale C, quinte G et quarte F (cf . ce sont ici encore degrés 1, 2 et 5 de J. Chailley, qui sont les 3 premières quintes du cycle, constitutives de deux “tétracordes”) ont gardé leur caractère, et plus particulièrement la fondamentale et la quinte : C D (F) G A.

Les 2 autres degrés — D et A — sont quant à eux sujets à variations (et dans une moindre mesure aussi la quarte F), sous la forme d’intonations glissées, par au-dessus ou par en dessous. Non seulement leur hauteur n’est pas fixe, mais en outre, ces degrés ne sont pas “justes”, au sens naturel du terme : ils sont donc tempérés.

Tran Van Khé explique ces variations de hauteurs par rapport à l’échelle naturelle par plusieurs facteurs :

1- l’attraction des degrés faibles par les degrés forts les plus proches : D subit l’attraction de C, A subit l’attraction de G, et de façon moins marquée du fait de son poids, F est aussi ponctuellement attiré par G.

2- le voisinage d’échelles différentes pratiquées dans le monde rural :

il existe notamment dans le Vietnam Central une échelle très voisine de celle pratiquée à Java (pélog), où les degrés D et A sont plus bas que dans le pentatonique régulier.

3- l’introduction de variations dans un but expressif :

dans la tradition classique vietnamienne, il semblerait que le gai soit exprimé par une échelle régulière, fidèle à la norme, et que le triste soit associé à des micro-altérations de cette même échelle. Ces dernières dépendraient donc aussi du sentiment interprétatif que l’on souhaite conférer à une pièce.

Pour conclure sur cet exemple, la théorie ne préjuge donc en rien de l’introduction de tempéraments dans la pratique, lesquels se révèlent d’ailleurs plus ou moins stables du fait même du caractère des instruments employés (rarement à sons fixes) et du mode de transmission oral de ces traditions.

Tempérament et micro-altérations à but expressif renvoient par ailleurs à deux phénomènes distincts, mais parfois bien délicats à dissocier dans les faits. Si l’on accepte en effet l’idée qu’un tempérament puisse ne pas être strictement fixe, comment discerner ce qui renvoie à une expressivité ponctuelle — les micro-altérations — de ce qui relève d’un ajustement relativement pré-déterminé d’écarts intervalliques — un tempérament ?

1.9. Pentatonisme et “modulation”

Évoquons une dernière particularité propre à certaines échelles pentatoniques (dont on a d’ailleurs déjà vu un exemple à propos des échelles hémitoniques) : la possibilité de passage d’un système scalaire à un autre, c’est-à-dire l’alternance de deux ou plusieurs échelles de 5 sons dans le cours d’une même mélodie, avec ou sans retour au point de départ.

a/ Peut-on alors parler de modulation ?

Pour Constantin Braîloiu, ce terme est trop connoté, puisqu’il renvoie à des règles harmoniques tonales précises.

Braïloiu préfère donc parler de métabole.

Le terme est à connaître, mais il faut savoir qu’il n’est plus tellement utilisé. Nombre d’auteurs préfèrent désormais parler de mutation.

Peu importe donc la terminologie que l’on décide de retenir, l’essentiel étant d’être à même de décrire et de distinguer les différents mécanismes qui peuvent présider à un changement de système.

Fidèle à sa logique de pensée, Braïloiu considère que le passage d’un système pentatonique à un autre en cours de pièce serait lié à l’affirmation progressive des pyen, soit les degrés 4 et 7 de l’échelle.

Normalement, nous avons vu que ceux-ci n’interviennent que ponctuellement. De faible poids, ils peuvent être omis ou variés sans affecter la reconnaissance de la pièce.

Il arrive cependant que les pyen tombent sur un temps fort, que l’accentuation s’appesantisse sur un 4ème ou un 7ème degré et leur confère un statut égal aux autres degrés :

Braïloiu les appellent alors des “pyen lourds”.

D’après lui, c’est ainsi qu’un système pentatonique régulier peut évoluer vers l’hexatonisme (6 degrés), ou vers un autre système pentatonique.

Pour l’auteur, ce procédé qui est plus qu’un simple enrichissement :

il y a pour lui un changement de système, car l’émergence d’un 4ème ou 7ème degré accentué a fait surgir un nouveau pycnon, emblématique de ce nouveau système.

Soit l’échelle F G A C D, dont le pycnon est F G A.

D’après Braïloiu, seules quatre voies seraient possibles pour “moduler” à partir de ce système de F :

• Par alourdissement du 4ème degré :

- F G A B C D : émergence d’un nouveau pycnon G A B, qui permet de “moduler” vers G A B D E.

- F G A Bb C D = émergence d’un nouveau pycnon Bb C D, qui permet de “moduler” vers Bb C D F G.

• Par alourdissement du 7ème degré :

- F G A C D E : émergence d’un nouveau pycnon C D E, qui permet de “moduler” vers C D E G A.

- F G A C D Eb, émergence d’un nouveau pycnon Eb F G, qui permet de “moduler” vers Eb F G Bb C.

Quatre voies s’offrent ainsi à une mélodie qui s’évade du système de F : G, Bb, C, Eb.

Pour Braïloiu, le 1er système et ses quatre satellites constituent un monde clos :

il dit en effet ne pas avoir trouvé d’exemples dans le monde où le second système évoluerait vers un 3ème, et ainsi de suite.

Mais Braïloiu a principalement travaillé dans les Balkans…

C’est par ailleurs sans prendre en compte l’évolution possible d’un système régulier vers des échelles hémitoniques, par altération (cf. exemple déjà vu avec le cas du Japon).

À noter enfin que par « changement de système » ou « métabole », Braïloiu désigne un procédé tout autre que celui qui préside au passage d’un mode à un autre, par simple “transposition modale” : en effet, l’échelle-mère demeure dans ce dernier cas la même.

Ex. FGACD (mode de F) > GACDF (mode de G).

ACDFG (mode de A), etc.

Par souci de précision, il convient donc de distinguer ce qui relève d’une véritable “modulation” (avec changement d’échelle), d’un simple “changement de mode” (à partir de la même échelle).

On comprend désormais mieux la proposition de termes tels que “métabole” ou “mutation” qui, tous deux, renvoient étymologiquement à l’idée d’une transformation, contrairement à l’expression modulation, étymologiquement ambiguë (cf. racine mod- > mode, modalité, etc.).

Ex. musical, pl. 15 : Pérou, Indiens Ayarachi et Chiguarano

Exercice 6

Identifier dans cet exemple le pyen lourd et la nouvelle échelle susceptible d’être générée par l’émergence d’un nouveau pycnon.

Somme-nous ici en présence d’un hexatonisme ou d’un phénomène de mutation de l’échelle ? Quel(s) critère(s) permet(tent) selon vous de répondre à cette question ?

Identifier la (ou les) fondamentale(s).

b/ Étude de cas échappant à la logique de Braïloiu :

On peut se demander pourquoi Braïloiu n’envisage pas l’évolution possible vers un système heptatonique, ou même vers des systèmes à 8 ou 9 degrés, au sein desquels plusieurs pyen s’affirmeraient simultanément, générant la possibilité d’évoluer vers de nombreux autres systèmes.

Braïloiu applique de façon rigoureuse sa logique selon laquelle le pentatonisme est un système autonome, sans tenir compte de la concomitance possible de plusieurs systèmes différents au sein d’une même culture, qui pourrait par exemple être induite par l’influence d’autres cultures.

Si, dans la pratique, la théorie de Braïloiu, offre une grille d’analyse le plus souvent pertinente, des exemples plus complexes et difficilement analysables n’en existent pas moins, notamment dans les aires culturelles où voisinent différents systèmes, tels que pentatonisme et heptatonisme.

C’est notamment le cas en Afrique de l’Ouest, où ces deux systèmes sont également représentés.

Ex. musical, pl. 16 : Polyphonie vocale des Peuls Wodaabe du Niger

Forme bipartite AB (partie A : 0’00 à 3’32 ; partie B : 3’33 à la fin).

Exercice 7

Relever les deux échelles qui différencient les deux parties constitutives de la pièce (cf. timing ci-dessus).

Identifier les degrés fluctuants.

À première écoute, quelle est selon vous la couleur dominante de ces échelles ?

Dans cet exemple, la mutation de l’échelle procède d’une altération, difficile à expliquer selon la logique de Braïloiu (cf. altération des 4ème et 5ème quintes du cycle. Voir chap. sur le pentatonisme hémitonique). De plus, les degrés fluctuants au sein de chaque échelle ne se trouvent pas dans la position habituellement occupée par les pyen.

Le risque serait ici de percevoir une modulation conforme à notre système tonal (alternance mineur/majeur), comme le fit d’ailleurs l’ethnomusicologue Zygmunt Estreicher, à l’écoute d’enregistrements de seconde main de ces répertoires peuls, dans les années 60.

Un rapprochement avec les fameuses “blue notes” (altération possible de la tierce et de la septième au sein d’un pentatonisme anhémitonique, d’ailleurs souvent évoqué en termes de pentatonisme “majeur” dans la terminologie jazz) apparaîtrait à la rigueur plus pertinent, d’autant que la fondamentale n’est ici jamais destituée.

Bien que cet exemple ne puisse être lu selon la grille d’analyse de Braïloiu, notons en tout cas que nous sommes dans un cas évident de “remplissage” variable des deux “tétracordes” formant l’armature stable de l’échelle.

Quoi qu’il en soit, la comparaison avec d’autres chants du même répertoire indique la présence dans cette société de types très différenciés d’échelles irrégulières (à 4, 5, 6, 7, 8, et parfois 9 degrés plus ou moins lourds), où l’évolution vers d’autres systèmes (passage d’une partie A à une partie B) ne se conforme apparemment pas toujours aux mêmes règles.

Les Peuls occupent principalement la région sahélienne, zone transitoire située à la croisée de l’Afrique soudanaise et de l’Afrique du Nord : serions-nous ici en présence d’une synthèse originale entre un système pentatonique assez communément répandu en zone soudanaise et les modes heptatoniques, tant d’Afrique du Nord que de nombreuses autres sociétés de l’Afrique soudanaise ?

Ex. musical pl. 17 : Toraja d’Indonésie (îles Célèbes) ; déploration féminine : flûte suling et chant.

Exercice 8

Relever les degrés constitutifs de la mélodie de cette pièce, en vous attachant plus particulièrement à la distribution de ces degrés entre flûte et chant.

Ici encore, l’échelle de base apparaît difficilement identifiable en termes de système pentatonique régulier ou hémitonique.

Conclusion 

Le schéma théorique de Braïloiu repose finalement entièrement sur cette idée que le pentatonisme est induit par la loi de la consonance :

l’homme construirait ainsi préférentiellement ses échelles sur la base de sons qui entretiennent avec un son fondamental des rapports simples de fréquence.

Le débat sur la prégnance naturelle (et donc logiquement universelle) de cette loi n’est cependant pas clos.

On pourrait en effet aussi se demander dans quelle mesure elle n’intervient pas a posteriori, par suite d’un processus de rationalisation ?

De façon empirique, cette loi se découvre de fait aisément par le calcul des longueurs de tuyaux ou de division des cordes sur la base de rapports mathématiques simples ?

(Pour rappel : la division d’une corde par le milieu donne l’octave, par les 2/3 la quinte juste, par les 3/4 la quarte juste, par les 4/5 la tierce majeure, par les 5/6 la tierce mineure.)

Mais on peut tout à fait imaginer que certaines sociétés aient conçu la facture de leurs instruments sur la base d’un autre principe (comme, par exemple, le principe d’équidistance). De même pourrait-on se demander, dans le cas de sociétés ayant peu exploré la facture des instruments mélodiques, si la musique vocale n’y a pas plus de chances d’échapper à cette loi de la consonance ?

Autant de questions qui restent à ce jour en suspens…

 

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